2012(3) : Action outillée prospectus

(projet de présentation de « Comment Homo devint Faber »), texte daté du 27 mai 2012

ACTION OUTILLÉE – PROSPECTUS

À l’origine de ce livre, il y a une constatation assez paradoxale : l’action outillée a été beaucoup plus étudiées chez l’animal, où elle est l’exception, que chez l’homme, où elle est la règle. Or quand on y regarde d’un peu près, on s’aperçoit que c’est en faisant de l’action outillée la règle ou le modèle de ses activités matérielles que l’espèce humaine s’est constituée en tant que telle.

L’action outillée implique en effet un comportement mental tout à fait nouveau des individus. Dans le monde animal, l’action ne fait intervenir que des automatismes corporels, qui peuvent certes être rodés et perfectionnés par apprentissage, mais qui sont innés et dont, de ce fait, la mise en oeuvre n’exige pas d’attention particulière. Toute l’attention de l’individu peut se tourner vers le but à atteindre. Dès lors qu’il y a outil, au contraire, il faut qu’il y ait partage de l’attention, car si le but en requiert toujours autant, l’outil a son fonctionnement propre qui doit être pris en compte en tant que tel. On fait ici l’hypothèse que ce partage de l’attention entre fin et moyen est à l’origine de la conscience d’un réel ayant une existence indépendante, et par suite de la conscience de soi comme partenaire de ce réel indépendant.

Mais à n’en pas douter, le partage de l’attention implique des aptitudes mentales tout à fait inédites. Comment de telles aptitudes ont-elles pu se développer ?

Les hypothèses relevant de l’utilitarisme classique sont peu prometteuses, car il semble bien difficile de prouver que dans ses formes primitives, l’action outillée ait constitué un avantage décisif en termes de sélection naturelle. Il semble plus intéressant de se tourner vers les structures sociales. Dans le monde animal, les sociétés complexes impliquent pratiquement toutes une ségrégation plus ou moins poussée entre sexués et neutres, les premiers ne faisant que se reproduire, les seconds étant chargés de toutes les tâches matérielles. Les humains sont la seule espèce qu’on puisse dire « eusociale » où cette ségrégation entre neutres et sexués n’existe pas. Le partage fondamental des tâches s’y est d’abord établi entre hommes et femmes, et dans les sociétés dites primitives, ce sont les échanges entre les sexes qui sont à la base de l’organisation sociale.

Dans cette configuration tout à fait inédite, non seulement la pratique d’activités matérielles ne disqualifie pas les individus sur le plan sexuel, mais leur efficacité, leur habileté, leurs réussites dans ce domaine deviennent un moyen de séduction envers l’autre sexe, en même temps qu’un objet d’émulation ou de compétition à l’intérieur du leur. L’hypothèse qui s’impose alors est que c’est dans cette situation de séduction-émulation que le partage de l’attention a trouvé les conditions favorables à son développement.

 

François Sigaut
Le 27 mai 2012