2006(3) : Compte rendu du colloque Techniques de travail de la terre

Nantes-Nozay-Châteaubriant

TECHNIQUES DE TRAVAIL DE LA TERRE, HIER ET AUJOURD’HUI, ICI ET LÀ-BAS

Colloque international de Nantes-Nozay-Châteaubriant, 25-28 octobre 2006

Malgré les exhortations de Marc Bloch, il y a trois quarts de siècle, on en sait toujours aussi peu sur la façon dont les paysans d’autrefois labouraient leurs terres. Il y a sur ce point une véritable conspiration du silence entre les agronomes, qui s’imaginent savoir parce qu’ils ont des théories, et les historiens (avec lesquels je compte les géographes, les ethnologues, les archéologues, etc.) qui, eux, n’imaginent pas qu’il y ait quelque chose à savoir. La réussite du colloque organisé par René Bourrigaud, sur un sujet aussi ingrat laisse espérer que cette conspiration commence à se dissoudre. Historiens et agronomes ont échangé au cours de ces journées avec une liberté de ton qui n’était pas de mise jusqu’alors. Il est devenu évident que pour comprendre les techniques paysannes et les raisonnements qui les sous-rendent, les uns et les autres sont également indispensables à ce qui ne peut qu’être une œuvre commune.

Cette réussite est due, entre autres, au fait que dans certaines régions de la Loire-Atlantique, des procédés de labour qu’on croyait disparus depuis longtemps ont en fait subsisté jusqu’au remembrement et à la tractorisation des années 1950 et 1960. Si bien qu’il y a encore des anciens qui savent exactement, pour l’avoir pratiqué dans leur jeunesse, comment on utilisait l’outillage qui n’est plus conservé que dans les musées. Le programme du colloque comportait une matinée de reconstitution de ces labours à l’ancienne, en sillons, comme on disait autrefois dans les deux tiers de la France, et comme le disent encore les anciens mobilisés pour l’occasion. Ces démonstrations ont joué un rôle essentiel. Voir ne suffit pas pour comprendre. Mais voir montre qu’il y a quelque chose à comprendre, et il semble bien que cette leçon-là ait été parfaitement assimilée. Pour ceux qui ont vu, il ne peut plus être question de passer sous silence une activité aussi importante que les labours ni d’en dire n’importe quoi. Il y a une réalité, certes complexe et multiforme, mais qu’il faut prendre en compte si on veut se faire une idée un peu concrète de ce qu’étaient les agricultures d’autrefois.

Le labour en sillons (avec un s s’il vous plaît, on ne parlait de billons que dans un petit nombre de régions) est un peu le pont aux ânes de cette géométrie champêtre. Un pont infranchissable par ceux qui ne font pas l’effort de s’interroger sur les réalités que désignent (ou cachent) les mots les plus courants. Mais le colloque ne s’est pas borné à ce seul thème, qui devra faire l’objet de développements futurs. Il a donné lieu à un véritable tour d’horizon, incluant aussi bien certaines formes de labour à bras (en Irlande, au Pérou) que la fabrication des instruments aratoires, artisanale (en Tunisie) et industrielle (Melotte en Belgique, Huard à Châteaubriant). Et il a été question aussi bien de l’Egypte ancienne que de l’Ethiopie actuelle, des heurs et malheurs de la coopération en Afrique que de la dernière mode de culture sans labour en provenance du Brésil. Poursuivre cette énumération serait sans profit, d’autant qu’il est possible dès maintenant de consulter le programme, les résumés et toute une série de documents préparatoires mis en ligne à cette occasion. L’essentiel est de bien voir que cette diversité ne signifie nullement éparpillement ou dispersion. L’univers des techniques de labour est vaste, mais pas illimité, et des comparaisons sans a priori sont le seul moyen d’en découvrir les structures. C’est pourquoi il doit être l’objet d’une exploration totalement libre, qui ne peut donc être que collective. L’équipe qui s’est constituée autour de R. Bourrigaud ne s’arrêtera pas à ce premier essai.

F. Sigaut Le 17 novembre 2006