2006(5) : « RTHF : La répartition des tâches entre hommes et femmes. Quelques façons de considérer la question. »

Fichier informatique daté du 15 décembre 2006 (994 mots).

RTHF : La répartition des tâches entre hommes et femmes

Quelques façons de considérer la question

 

1. Le point de vue descriptif

(a) Hommes et femmes ne font pas la même chose. (Innombrables exemples ethnographiques.)

(b) Hommes et femmes font la même chose, mais pas de la même façon. (…. d°….)

(c) Hommes et femmes font la même chose, de la même façon, mais pas ensemble. (Exemple le plus parlant à mon sens : les sports de compétition.)

L’exemple des sports montre qu’il ne faut pas négliger les aspects physiques (biologiques). Il n’y aurait aucun sens à faire concourir hommes et femmes ensemble (la seule exception que je connaisse est l’équitation). Mais il y a aussi des facteurs, disons, psychologiques. Pour qu’il y ait plaisir à travailler ensemble, il faut qu’il n’y ait pas trop de différences dans les rythmes, les manières de s’y prendre, etc.

 

2. Le point de vue interprétatif

(d) Pas d’interprétation indigène particulière. (« On fait comme ça, c’est tout. »)

(e) Il y a une interprétation indigène, d’ordre explicatif.

(f) Il y a une interprétation indigène, d’ordre normatif.

Le problème pour distinguer (e) et (f) est qu’en général, la norme vaut aussi explication : on fait comme ça parce qu’on le doit, la règle explique le fait. C’est oublier que la règle elle-même demande à être expliquée. Cet oubli n’est que trop fréquent dans la littérature sur le sujet, où les « théories » proposées ne sont souvent que des théories indigènes commentées en termes savants.

 

3. Le point de vue comparatif

(g) Y a-t-il des tâches universellement masculines ou féminines, quelles que soient les sociétés ? Ce n’est pas impossible. Le meilleur exemple est peut-être la mouture des grains à la main (mais pas le pilage au mortier - pourquoi ?). Y en a-t-il d’autres ? Si oui, que peut-on en déduire ?

(h) Hormis ce qui précède, les comparaisons n’ont de chances d’aboutir que si on prend en compte le tableau complet des tâches dans les sociétés que l’on compare, parce que c’est souvent l’introduction de tâches nouvelles qui amène la redistribution des tâches anciennes. Cf. l’exemple tasmano-australien de Descamps, ou celui de l’Amérique du Nord (coton : agricultures masculines / pas de coton : agricultures féminines).

 

4. Les ateliers

Je rappelle que j’emploie le terme dans son acception leplaysienne (qu’il faudra préciser). Pour l’instant, je me borne à citer quelques exemples d’ateliers dont l’incidence sur la RTHF est si évidente, voire banale, qu’on a eu tendance à la sous-estimer :

(i) Les communautés unisexes : armées (pas toujours, et c’est d’autant plus intéressant), monastères, équipages de navires, etc. ; sans oublier les marcaires et autres bergers d’estive.

(j) Les rassemblements festifs (la cuisine quotidienne est l’affaire des femmes, le méchoui ou le barbecue est celle des hommes).

 

5 . Les appartenances

On ne voit pas qu’il puisse exister des sociétés où l’individu ne serait pas distingué des autres par ses caractéristiques physiques et morales (qui se retrouvent dans les noms, les sobriquets…), à commencer par ses âge et sexe. Mais cette identité individuelle ne s’acquiert que par l’appartenance à un groupe social, lui-même identifié :

- par la naissance, réelle ou fictive (race, lignée, nation…) ;

- par les manières de faire (techniques, parler, règles de bonne conduite…).

Dans les sociétés dites (à tort, à mon sens), froides, holistes ou à solidarité mécanique, ces deux identités n’en font qu’une. Tous les membres du groupe sont et font la même chose, compte tenu de leur âge et de leur sexe (qui n’en ont que plus d’importance). Il n’est pas pensable que les uns se distinguent des autres par leurs activités matérielles. Les techniques y sont « maternelles », comme on le dit de la langue.

Lorsque cependant une spécialisation commence à s’imposer, la cohésion du groupe est compromise. Pour la maintenir, deux solutions peuvent être adoptées :

(k) les « spécialistes » sont mis à l’écart (ex. des forgerons en Afrique et ailleurs) ;

(l) le groupe entier se spécialise et entre dans un réseau d’échanges avec ses voisins qui se spécialisent aussi.

Les deux solutions sont vouées à se rejoindre : les groupes fondés sur la naissance deviennent des castes. (Le système indien des castes est propre à l’Inde, mais il n’y a pas de castes qu’en Inde.) Une troisième solution est celle des berdaches d’Amérique du Nord : ce sont des hommes qui, parce qu’ils se vouent à des activités « artisanales » conçues comme féminines, se travestissent et constituent une catégorie particulière d’«hommes-femmes».

Dans les sociétés dites chaudes, individualistes ou à solidarité organique (toujours à tort à mon avis), une autre solution a été élaborée : le métier. La naissance (famille, lignée…) reste un identifiant fondamental, mais le métier en est un autre, qui est conçu comme distinct, même si les deux restent très liés en fait. Comment la notion distinctive de métier, si étrangère aux sociétés « holistes » a-t-elle pu s’imposer ?

L’esclavage a certainement joué un rôle essentiel dans l’Antiquité gréco-romaine. L’esclavage « libère » l’individu de ses attaches traditionnelles et lui « permet » de jouer toutes sortes de rôles qui sont interdits au citoyen « libre », y compris parfois des rôles politico-militaires de premier plan.

Le célibat a sans doute été utilisé dans le même but. Contrairement aux apparences, le célibat ecclésiastique en Europe a moins été une affaire de morale sexuelle qu’un moyen de réaliser l’indépendance politico-économique du clergé par rapport à la société civile. La question dépasse d’ailleurs largement le cas de l’Eglise. Le célibat était couramment imposé dans les armées professionnelles (les janissaires turcs, mais pas seulement), et dans d’autres.

Ces remarques n’épuisent pas le sujet. On peut mentionner encore le placement des enfant dans des familles d’accueil, pour y faire leur apprentissage. Il semble que ce soit une coutume propre à l’Europe du Nord, même si elle n’est pas tout à fait absente dans le reste du monde.

 

François Sigaut

Le 15 décembre 2006