Texte daté du 5 juillet 2012, à propos du projet de musée à Vierzon.
UN MUSEE NATIONAL DU MACHINISME AGRICOLE ?
Réflexions pour un projet
L’idée d’établir en France un grand musée national du machinisme agricole est récurrente. Actuellement (juillet 2010), une proposition est faite en faveur du site de Vierzon. Cette note est un résumé de quelques-unes des considérations qu’il semble nécessaire de prendre en compte. Elle n’engage évidemment que son auteur.
Les leçons du passé
Il est probable que des recherches approfondies permettraient de retrouver des antécédents dès le XIXe siècle, qui fut celui des grandes Expositions Internationales où les machines agricoles occupaient une place importante. Sans remonter aussi loin, il faut rappeler que l’idée d’un grand musée sur ce sujet fut lancée par le SEDIMA un peu avant la fin des années 1970, parce que ce fut un échec et qu’il est important d’en tirer les leçons. Cet échec est dû à deux causes principales :
1° Le projet initial fut coupé en deux : entre Niort, soutenu par le Ministère de l’Agriculture, et Chartres, soutenu par le Ministère de la Culture ; et sans qu’aucune structure de coordination n’ait été prévue. Le résultat, c’est que ni Niort (aujourd’hui fermé) ni Chartres (mieux soutenu par le département d’Eure-et-Loir) ne purent jamais avoir accès aux moyens, aux dimensions ni à l’image d’un musée véritablement national.
2° La question des dimensions est essentielle. Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer ce qu’il faudrait de surface couverte pour entretenir une collection significative de moissonneuses-batteuses : un musée du machinisme agricole doit pouvoir disposer de surfaces énormes. Or cette condition nécessaire ne fut pas vraiment prise en compte par les décideurs de l’époque.
La situation actuelle
Les vieilles machines agricoles intéressent et même passionnent un nombreux public d’amateurs, de collectionneurs, de ruraux, d’anciens ruraux ou de leurs descendants. C’est un fait qu’il est facile de constater en allant à quelques-unes de ces fêtes de « travaux à l’ancienne » qui se donnent un peu partout en France pendant la belle saison, ou en allant voir certaines de ces collections de tracteurs, de moteurs fixes, d’écrémeuses ou de batteuses dont le nombre exact n’est pas connu, mais se situe sans doute entre 500 et 1000.
Le situation française n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel. On en trouve au moins autant (en proportion) dans les autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Tous ces pays produisent en outre une abondante littérature spécialisée, écrite par et pour les collectionneurs, qui compte plusieurs centaines de titres disponibles en quatre ou cinq langues. En France même, il existe en outre une demi-douzaine de périodiques partiellement ou exclusivement consacrés à l’histoire du machinisme agricole.
Le paradoxe est que cette situation est à peu près totalement méconnue par les professionnels de la culture (musées publics) et par les historiens. En face de cette littérature abondante, qui suppose des milliers de lecteurs, il est extraordinaire de devoir constater que la contribution des historiens universitaires à l’histoire du machinisme agricole est pratiquement nulle ! Il y a eu quelques études sur les « collectionneurs » considérés comme une tribu un peu étrange. Il n’existe à ma connaissance aucune étude permettant de savoir qui ils sont vraiment, combien ils sont, quels sont leurs motifs, leurs moyens, leurs compétences, leurs méthodes… Il y a là une tache aveugle qu’il faudrait éclairer d’urgence.
Il faut enfin souligner le caractère absolument international du machinisme agricole et de son histoire. Et cela depuis les origines. La première batteuse fut écossaise, la première écrémeuse fut suédoise, et les tracteurs qui remplissent les hangars des collectionneurs actuels sont allemands, américains, français, italiens, tchèques… Cet internationalisme est un aspect essentiel de la question.
Les questions qui se posent
L’idée d’implanter un grand musée du machinisme agricole à Vierzon est récente. La force de cette proposition tient en trois points principaux :
- la renommée de Vierzon dans l’histoire du machinisme agricole,
- la situation géographique centrale du site et son excellente accessibilité,
- l’existence de bâtiments industriels désaffectés représentant des surfaces couvertes considérables, tout à fait à la mesure des besoins.
Ces atouts sont considérables. Ils ne dispensent cependant pas de se poser au moins quatre questions préjudicielles :
1° Le projet doit-il être limité au machinisme agricole proprement dit ? Ne faut-il pas l’étendre aux engins de levage et de travaux publics, voire aux véhicules utilitaires, qui sont souvent produits par les mêmes entreprises ?
2° Faut-il un « grand » musée central, ou simplement un organisme chargé de soutenir les initiatives locales, de coordonner leurs actions, etc. ?
3° Si la création d’un « grand » musée est décidée, quelles devront être ses fonctions exactes, compte tenu justement du grand nombre de collections existantes auxquelles il ne faut surtout pas faire de l’ombre ?
4° Toujours dans l’hypothèse d’un « grand » musée central, le site de Vierzon est-il le plus approprié ?
Trouver les bonnes réponses à ces questions ne sera pas si facile. D’un côté, il ne faut pas décider à la légère. Mais de l’autre, des études approfondies, si elles se prolongent trop longtemps, risquent de compliquer les choses et de retarder les décisions. Compte tenu de ce qu’on peut savoir ou présumer de la situation actuelle, je proposerais les réponses suivantes, mais comme de simples opinions personnelles :
1° Il sera probablement préférable d’élargir la perspective (aux engins de travaux publics, etc.), non seulement dans le but d’élargir la fréquentation du futur musée, mais aussi pour rompre avec des habitudes mentales assez fâcheuses qui tendent à une séparation trop radicale de l’agriculture et de l’industrie.
2° et 3° « Grand » musée ou pas, la création d’un organisme fonctionnant comme une tête de réseau est de toutes façons hautement souhaitable. Ne serait-ce que pour : (a) s’occuper des collections qui tombent en déshérence par suite du décès de leur auteur, un cas de figure appelé à se multiplier ; et (b) sauvegarder la documentation (archives d’entreprise par exemple), où les risques de perte définitive sont encore plus lourds que pour le matériel lui-même. Or avec le temps, et si elle fonctionne avec succès, cette tête de réseau a des chances de devoir se transformer peu à peu en musée, même si cela n’était pas le choix initial. C’est en tous cas une évolution possible dont il faut tenir compte.
4° Vierzon ou ailleurs ? L’intérêt d’examiner tous les sites possibles n’est pas d’ouvrir une concurrence entre eux (ce qui fut le cas avec le projet SEDIMA). Chaque site offre des potentialités, des ressources dont il serait absurde de se priver. Quel que soit le choix final, les autres sites devront y trouver leur compte.
Ajoutons une dernière remarque. Il y a dans ce projet un enjeu « culturel » fondamental. L’agriculture, l’industrie, le travail manuel, la technique, etc., sont choses qui intéressent peu ou pas du tout les professionnels d’une « culture » conçue comme de plus en plus élitiste. De ce point de vue, le projet « Vierzon » va nettement à contre-courant. C’est un handicap, mais dont on peut essayer de faire une force.
Par quoi commencer ?
Quatre inventaires préliminaires paraissent nécessaires pour éclairer les décisions à prendre :
- celui des principaux musées européens et américains d’agriculture et de la façon dont le machinisme y est représenté ;
- celui, en France, des collections (associatives/privées) les plus importantes ;
- celui des sites industriels qui doivent entrer en ligne de compte avec Vierzon ;
- celui enfin, last but not least, des institutions et des personnes-ressources susceptibles d’apporter une contribution effective à l’élaboration du projet ; probablement même est-ce par là qu’il faudrait commencer.
Il serait prématuré d’aller plus loin pour l’instant. Le projet vient de Vierzon, c’est donc aux responsables de Vierzon qu’il appartient de dire si la démarche proposée ici leur convient.
Le 5 juillet 2010
François Sigaut