(brève note datée du 10 mai 2005)
CONTRIBUTION SUR LEFEBVRE DES NOETTES
LdN a eu, entre les deux guerres, une influence tout à fait remarquable, mais dont le souvenir s’est presque complètement perdu. Au moment de sa fondation par Marc Bloch, Lucien Febvre et quelques autres, l’école des Annales affirme haut et fort son intérêt pour l’histoire des techniques : par sa notoriété, l’œuvre de LdN est alors une des principales références en la matière.
Cette œuvre s’organise autour de deux idées directrices. La première est d’ordre très général, puisqu’elle affirme l’importance des déterminations réciproques entre techniques et institutions sociales. L’institution en cause est l’esclavage antique. Les deux livres de LdN sur l’attelage et sur le gouvernail d’étambot portent tous deux le même sous-titre : Contribution à l’histoire de l’esclavage.
La seconde idée de Lefebvre des Noëttes fut de réhabiliter le Moyen Âge, par rapport à l’Antiquité. Il ne fut pas le premier en cela, puisque la controverse avait été lancée par les romantiques au XIXe siècle. Son originalité fut de se placer sur le plan de l’histoire des techniques, ce qui ne semble pas avoir été fait avant lui. Le texte essentiel est ici « La nuit du Moyen Age et son inventaire » (Mercure de France, 1932, 235, pp. 572-599). Sur ce sujet, LdN eut des successeurs dont les plus connus furent Lynn White jr. aux Etats-Unis (Medieval Technology and Social Change, 1962) et Bertrand Gille en France. Tous deux, le premier surtout, ont reconnu leur dette à son égard.
Que reste-t-il aujourd’hui des affirmations par lesquelles LdN avait cru pouvoir conclure ses recherches ?
Il a eu raison de réhabiliter le Moyen Age. Mais ce faisant, il a eu le tort de dénigrer inutilement l’Antiquité, qui a connu elle aussi des progrès techniques spectaculaires.
Sur l’esclavage, ses assertions ont été réfutées dès leur publication, et on n’y reviendra certainement pas. Ce qu’on peut en retenir, c’est l’intuition selon laquelle l’esclavage a quelque chose à voir avec l’évolution des techniques et des métiers. Il n’est pas sûr que l’historiographie subséquente ait prêté à cette question toute l’attention qu’elle mérite.
Sur l’attelage (le collier d’épaules, etc.), la réfutation fut plus tardive. Elle est due à un autre militaire en retraite, Jean Spruytte (Etudes expérimentales sur l’attelage, 1977). Mais elle fut radicale. L’Antiquité ne connaissait pas un, mais deux systèmes d’attelage, qui n’avaient ni l’un ni l’autre les vices rédhibitoires que LdN leur impute. C’est parce qu’il les confondit qu’il fabriqua une sorte de chimère, laquelle aurait assurément eu, entre autres, le grave défaut d’étrangler les chevaux… si elle avait existé.
Somme totale, il ne reste pas grand-chose des conclusions de Lefebvre des Noëttes, sur le plan matériel. Il s’est beaucoup trompé, même si le bilan complet n’a jamais été établi. Mais la liste des historiens qui se sont beaucoup trompés, et qui n’en sont pas moins illustres, serait interminable. C’est le lot de tous ceux qui ouvrent un champ nouveau. Les vérités sont des erreurs corrigées. Les erreurs de LdN ont déjà conduit, et conduiront encore, à bien des vérités.
François Sigaut
Le 10 mai 2005