2012(10) : Compte rendu de Growth and Stagnation in European Historical Agriculture

sous la dir. De Mats Olsson et Patrick Svensson. Turnhout (Belgique), Brepols, 2011, 307 p. (Rural History in Europe, 6)
(Publication non identifiée. Critique typique des reproches de FS aux historiens)

Growth and Stagnation in European Historical Agriculture, sous la dir. De Mats Olsson et Patrick Svensson. Turnhout (Belgique), Brepols, 2011, 307 p. (Rural History in Europe, 6)

 

Cet ouvrage est parfaitement représentatif des forces et des faiblesses de l’histoire rurale (ou agraire) classique ― classique dans la mesure où elle prolonge une tradition qui remonte à la fin du XIXe siècle. Une des forces de cette tradition est l’économie, et nous sommes ici exactement dans ce domaine, puisque ce dont il s’agit dans ce livre est de mesurer la croissance dans différentes régions. Mesure qui s’effectue à grand renfort de tableaux (on en compte 56) et de graphiques (44). J’ajouterai, puisque j’en suis moi-même aux statistiques, que l’ouvrage comporte dix articles (non compris l’Introduction, par Olsson et Svensson) portant sur neuf pays, à savoir la Belgique, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suède, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne (deux articles), la Russie et l’Italie. Mais les pays ne sont pas traités dans leur ensemble ; dans la plupart des cas, l’analyse ne concerne qu’une province, voire une petite région, pour laquelle le ou les auteurs ont pu disposer de sources de bonne qualité.

Il va sans dire que ni la qualité des articles ni la compétence des auteurs ne peuvent être mise en cause, et je me garderai bien pour ma part de les contester. Le problème, à mon sens, est de savoir si un tel ouvrage est lisible et donc utilisable par d’autres que par les spécialistes qui l’ont écrit ou qui en écrivent de semblables. Je crois, malheureusement, que la réponse est non, pour plusieurs raisons que je vais indiquer rapidement.

La première est, disons, le manque d’homogénéité. On ne sait pas vraiment quelle est la représentativité des régions choisies dans leurs pays respectifs. De plus, les périodes pour lesquelles elles sont étudiées ne coïncident pas. La Belgique est étudiée pour le Haut Moyen Âge, ce qui la met à part. Les autres régions sont traitées pour des périodes allant de 1700-1914 (l’Angleterre) à 1885-1985 (l’Aragon), ce qui ne permet pas de véritables comparaisons. Finalement, le lecteur se trouve devant une liste de cas d’espèce dont il ne sait trop que faire, même s’il peut toujours trouver ici ou là une donnée intéressante.

Une seconde raison est qu’à ce degré de spécialisation, on tombe dans l’ésotérisme. Le problème est général, et je ne voudrais pas laisser croire qu’il ne se pose que dans ce livre. Mais c’est justement parce qu’il est général qu’il est grave. Que les spécialistes en quoi que ce soit fassent usage entre eux d’un jargon qui leur est propre, c’est normal, c’est même sans doute nécessaire. Mais dès lors qu’ils s’adressent à d’autres qu’eux-mêmes, ils doivent, soit renoncer à leur jargon, soit donner à leurs lecteurs les moyens de s’y retrouver, à l’aide d’un glossaire par exemple. Il est significatif qu’aucune de ces deux solutions ne soit proposée dans ce livre. On a même l’impression que les auteurs n’ont jamais pensé qu’il pût y avoir un problème à ce niveau-là !

Enfin, à mon sens, on retrouve dans ce livre un défaut tout à fait général de l’histoire économique ― exclusivement économique ― qui est d’analyser les effets sans vraiment s’intéresser aux causes. La productivité peut et doit se mesurer, c’est vrai. Mais quelle est la véritable signification des chiffres qu’on obtient ? Quelle est leur précision ? Quelle est la part des aléas, du hasard, etc. ? Et à quoi sert de discuter de tout cela si on n’a pas d’hypothèses entre lesquelles choisir concernant les causes des différences observées ? Or en l’espèce, ces causes ne peuvent être que naturelles ou techniques. Les causes naturelles sont des facteurs climatiques, des épiphyties, etc. Mais ces facteurs sont récurrents ou aléatoires, et ne peuvent pas rendre compte de changements durables. Pour ces derniers, seules les innovations techniques sont en cause. Ce qui signifie que si on veut y voir clair, c’est par l’histoire des techniques qu’il faut commencer : la chronologie des innovations étant une fois connue, on peut s’interroger sur les changements qui en ont résulté en termes de productivité. La démarche inverse, qui domine toute la tradition de l’histoire économique, en agriculture surtout, revient proprement à mettre la charrue avant les bœufs. Ce livre en est une parfaite illustration.
 

Le 5 mars 2012
F. Sigaut