1976f) « Une discipline scientifique à développer : la Technologie de l’Agriculture »

Cahiers des Ingénieurs Agronomes, 307 : 16-21 et 309 : 15-19. Idem, in À travers champs – Agronomes et géographes. ORSTOM, 1985 : 11-29. [Tiré à part] [tapuscrit]

Cahiers des Ingénieurs Agronomes, n° 307, juin-juillet 1976, pp. 16-21 ; et n° 309, oct. 1976, pp. 15-19. Repris dans : A travers champs – Agronomes et géographes. ORSTOM, 1985 : 11-29. En ligne sur :

 

http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/colloques/17921.pdf

 

 

 

 

 

Une discipline scientifique à développer :

 

La Technologie de l’Agriculture.

 

François SIGAUT

 

 

 

Il y a juste un siècle, en 1876, l’Institut National Agronomique était fondé pour qu’on y enseigne « les sciences, dans leurs rapports avec l’agriculture ». Nécessité évidente, depuis que les travaux de Liebig, à partir de 1840 (Dumas, 1965), avaient montré tout le parti que l’agriculture pouvait tirer du progrès des connaissances scientifiques. Depuis lors, les conditions de la production agricole ont été bouleversées par trois ou quatre révolutions successives. Les engrais minéraux, la mécanisation, la sélection génétique, les pesticides, etc... ont permis de multiplier de cinq à dix fois la productivité du sol et de plusieurs dizaines de fois celle du travail. Combien de révolutions semblables connaîtrons-nous encore ? Il est impossible de le dire. Mais ce qui est sûr, c’est que rien ne prouve que l’avenir doive ressembler au passé. Ce n’est pas tous les ans que se produisent des inventions aussi importantes que celle de la batteuse, ou des découvertes aussi fondamentales que les lois de Mendel. On n’a pas plus le droit d’extrapoler dans un futur illimité les progrès exceptionnels des cent cinquante dernières années, que de prêcher le retour à la "nature" et au bon vieux temps sous peine d’apocalypse écologique. Progrès il y aura encore, sans doute. Mais pas nécessairement celui auquel une tradition déjà longue nous a habitués.

 

Si les progrès passés sont absolument évidents, du reste, il n’est pas moins évident qu’ils n’ont reçu qu’une application très inégale. Aujourd’hui encore, la valeur ajoutée par travailleur dans l’agriculture est près de quatre fois plus élevée en Picardie que dans la Région Midi-Pyrénées : la proportion était déjà à peu près celle-là au XVIIIe siècle. Et entre l’Europe et le Tiers-Monde, les différences ne se sont pas seulement maintenues. Elles se sont accrues de façon très considérable. Dans les pays dits par antiphrase « en voie de développement », la réussite du développement agricole est le plus souvent une exception qui confirme la règle. Est-ce dans les structures socio-économiques et les mentalités qu’il faut chercher l’explication de ce non-développement ? Peut-être, encore qu’on puisse aussi faire fonctionner l’explication en sens inverse, et qu’on voie mal comment sortir de ce cercle. Quoi qu’il en soit, dans ce domaine, tant d’efforts ont été faits avec si peu de résultats qu’on peut légitimement se demander s’il faut simplement faire davantage, more of the same comme disent les Anglo-Saxons, ou s’il ne vaut pas mieux essayer de trouver carrément autre chose. Tout se passe, en effet, comme si la "greffe" scientifico-industrielle moderne prenait mieux sur certaines agricultures que sur d’autres. Or, si nous connaissons à peu près bien le greffon, que savons-nous du porte-greffe ? Que savons-nous de la pratique technique effective de toutes ces agricultures dont nous nous bornons souvent à constater qu’elles ne sont pas "modernes" ? Il est pourtant de simple bon sens que « la base fondamentale de tout travail d’amélioration (...) est une connaissance approfondie des méthodes de culture et des modes d’exploitation des paysans. » L’auteur de cette phrase, Yves HENRY (1935), parlait de la culture du riz et des paysans annamites, mais il est clair qu’on ne saurait limiter son propos à ce seul cas particulier, même si l’agriculture savante et élaborée de l’Extrême-Orient s’imposait avec plus de force que d’autres aux agronomes occidentaux. Pourtant, il faut bien reconnaître aujourd’hui que nous savons bien peu de choses de toutes ces agricultures que nous qualifions avec condescendance de "traditionnelles", qu’elles soient exotiques ou européennes. Cette ignorance est-elle sans importance ? Voici quelques exemples susceptibles de montrer, peut-être, que les choses ne sont pas si simples.

 

 

 

L’ARAIRE ET LE SEMIS, LA JACHERE ET LE GUERET.

 

On sait, depuis plusieurs décennies que l’on s’efforce de l’y vulgariser avec un succès inégal, que la culture attelée n’est pas connue en Afrique Noire. Absence d’autant plus étonnante que les contacts transsahariens sont très anciens, et que les Africains ont acquis d’autres techniques complexes comme par exemple l’équitation ou la métallurgie du fer. Certains auteurs parlent de "refus" à ce propos (Paulme, 1961 : 122). C’est colorer la constatation, ce n’est pas l’expliquer. Or, l’explication, ce n’est pas dans l’analyse des sociétés africaines que nous pouvons la trouver, mais dans l’analyse des fonctions de la charrue, ou plus exactement de l’araire (Haudricourt et Brunhes-Delamarre, 1955). Nous avons l’habitude, en effet, de considérer l’araire comme un instrument de travail du sol. Ce n’est pas faux, bien sûr, mais ce n’est pas suffisant. En Afrique du Nord, par exemple, on ne fait souvent qu’un seul labour, après le semis : la fonction de ce labour est donc double, à la fois de travail du sol et d’enfouissement de la semence. En France même, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les deux tiers Sud et Ouest du pays ignoraient l’emploi de la herse pour enterrer les semences, celles-ci étaient toujours couvertes1 à la charrue ou à l’araire. Mais il y a plus. Très tôt, certains araires sumériens apparaissent munis à l’arrière d’un tube vertical, permettant de semer dans la raie (Haudricourt et Brunhes-Delamarre, 1955 : 62-69). De tels araires à tube-semoir existent toujours dans une vaste région qui va de la plaine de l’Indus à la Palestine et au Yémen. Plus à l’Est se produit une séparation des fonctions. Alors que l’araire se spécialise dans la préparation du champ, le Dekkan et la Chine du Nord développent de véritables semoirs spécialisés à plusieurs rangs. Les semoirs chinois, utilisés pour le blé, sont à deux ou trois rangs. Les semoirs indiens, utilises pour une plus large gamme de cultures, ont un nombre de rangs plus variable : le record est sans doute détenu par un semoir a éleusine à 12 rangs, observe dans le Mysore en 1805, longtemps avant que les semoirs mécaniques ne se généralisent en Europe (Steensberg, 1971 : 241-256) ! L’Égypte ancienne n’a jamais connu l’araire-semoir de type mésopotamien, mais les hiéroglyphes désignant les termes couvrir (la semence) et semence comportent l’idéogramme de l’araire (Haudricourt et Brunhes-Delamarre, 1955 : 62-69).

 

C’est donc une simplification abusive que de considérer l’araire comme essentiellement un instrument de travail du sol (simplification qui n’est vraie que dans certains cas, comme l’Extrême-Orient). Si d’ailleurs on se pose la question de l’évolution générale des techniques de semis, on est amené a supposer que la première technique utilisée a dû être le semis en poquets, puisque c’est la seule méthode qui n’exige pas d’autre outillage qu’un bâton a planter. Par contre, le semis en lignes, et surtout [celui] à la volée, exigent un outillage spécial pour enterrer les semences, et cet outillage est l’araire. Celui-ci apparaît donc, fondamentalement, comme destiné à l’exécution des semis en lignes ou à la volée. Or, les agricultures africaines se sont développées autour de céréales de grande taille, mils et sorghos, qui sont semées en poquets, et où toutes les techniques de préparation du champ sont conçues en fonction de ce procédé de semis. L’araire n’avait pas de place, pas de signification, par rapport à de telles agricultures. Du reste, il en a été de même dans une certaine mesure, en Amérique Latine. Car si les Espagnols y ont imposé l’araire, c’est dans le cadre de la culture obligatoire du blé et de l’orge, et il semble bien que l’araire ait été parfois abandonné lorsque les redevances en nature cessèrent d’être exigées des Indiens. Est-ce à dire qu’il faille renoncer à la culture attelée dans tous ces pays ? Certes non. Mais le problème n’est pas là. Le problème n’est pas d’essayer telle ou telle "innovation", un peu à l’aveuglette, comme on essaye successivement les clés d’un trousseau pour trouver la bonne. Le problème est d’abord de comprendre la serrure, c’est-à-dire la logique interne des systèmes de culture qui existent. Cela exigera des analyses approfondies, basées sur des observations détaillées, précises et aussi objectives que possible des pratiques actuelles, et sur une très large comparaison de ces observations entre elles. Mais c’est seulement en se plaçant dans cette logique qu’on pourra essayer de trouver, autrement que par hasard, des solutions pertinentes.

 

Certains contesteront peut-être que nos ignorances soient aussi profondes sur les agricultures "traditionnelles". Particulièrement en Afrique, où de nombreuses observations ont été faites depuis maintenant près d’un siècle. Mais ce sont les concepts de base eux-mêmes, nécessaires pour comprendre ces agricultures, qui font défaut, ou qui ont été dénaturés par les interprétations abusives qui se sont accumulées dessus depuis des lustres. Et sur ce point, c’est l’Europe qui va nous donner notre plus bel exemple : celui de la jachère.

 

Dans le langage courant, la jachère (qu’on rattache assez spontanément au latin jacere, quand on a de vagues souvenirs de cette langue), est une période de repos d’un an ou plus destinée a permettre une certaine régénération de la fertilité du sol après une ou plusieurs cultures. On admet en général qu’historiquement, la jachère biennale, puis triennale, représente une étape dans l’évolution qui va de la culture temporaire, avec de longues jachères pluriannuelles, à la culture permanente, sans jachère. Celle-ci ayant pu se développer grâce à l’apparition des engrais commerciaux, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

Eh bien, cette construction ingénieuse et logique est a peu près entièrement fausse. Le mot jachère ne vient pas du latin jacere, comme les linguistes le savent depuis longtemps, mais d’un mot gaulois latinisé, gaskaria. D’ailleurs, jachère n’est qu’un terme régional, propre à la France (province) et aux régions situées au Nord de celle-ci. Dans tout l’Ouest et le Centre, on parle de guéret (avec bien sûr de nombreuses variantes phonétiques régionales). On parle de versaine en Champagne et en Lorraine, de sombre en Bourgogne, de sommard en Franche-Comté, de terre à soleil en Bresse, de cotive en Roussillon, etc. Il y a probablement, au total, une bonne douzaine de ces équivalents régionaux. Cela étant, à quelle notion technique correspondent-ils ? La définition la plus exacte qu’on peut en donner, nous semble-t-il, est celle-ci : la jachère (ou le guéret) est l’ensemble des labours de printemps et d’été jugés nécessaires pour préparer le semis des céréales d’hiver. Dans l’ancienne agriculture, en effet, où les moyens mécaniques n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, il fallait plusieurs labours successifs pour préparer le champ. Au moins trois et souvent bien davantage, notamment dans les pays d’araire tels que le Midi de la France ou l’Italie. Il serait trop long d’entrer dans les détails relatifs a ces labours, leurs dates, leurs modalités d’exécution, les noms qu’on leur donnait, etc., bien que tout cela soit important, et en partie assez bien connu. Disons seulement que du rétablissement de la notion de jachère dans son sens technique véritable, il découle immédiatement que,

 

1°, la jachère est une technique propre aux régions où on cultive des céréales d’hiver à la charrue ou à l’araire (en particulier, il est incohérent de parler de jachère, comme le font généreusement les géographes, à propos des pays tropicaux) ;

 

2°, la place de la jachère dans la rotation n’est pas en queue, mais en tête ;

 

3°, sa durée ne dépasse jamais un an, elle n’est même ordinairement que de 4 à 6 mois, du premier labour (mai-juin) aux semailles ; et enfin,

 

4°, la vaine-pâture n’est pas spécifiquement liée à la jachère, elle y a même parfois été expressément interdite par la Coutume ou par les baux (Sigaut, 1972).

 

En réalité, c’est toute notre vision de l’ancienne agriculture qui est à revoir. La jachère est un concept tellement important qu’on peut dire sans exagérer qu’il était impossible de comprendre vraiment les anciens systèmes de culture avec la notion fausse qu’on en avait. Peut-être est-ce pour cela que l’histoire de l’agriculture française a si peu progressé depuis Marc BLOCH sur le plan technologique. Comment par exemple, si la jachère n’était qu’une sorte de friche, aurait-on pu se poser un problème comme celui de son histoire ? Car puisque la jachère est une technique, il faut bien qu’elle ait été inventée, puis diffusée, bref qu’elle ait une histoire. Or, si nous ne savons rien de son origine, nous sommes mieux renseignés sur les dernières étapes de sa diffusion vers le Nord de l’Europe. C’est au début du XVIIIe siècle seulement que la jachère atteignit l’Écosse, où elle était ignorée auparavant, et son introduction dans ce pays y fit grand bruit (Sigaut, 1975). Plus d’un siècle plus tard encore, en 1840, l’agronome LE MASNE recommandait la jachère pour améliorer le système de culture du Sud du Morbihan, qui l’ignorait. C’est dire combien la condamnation de la jachère, tarte a la crème de l’agronomie française de l’époque, relevait bien davantage d’une mode que d’une analyse raisonnée. Voici d’ailleurs en quels termes s’exprimait sur ce sujet MATHIEU DE DOMBASLE en 1832 :

 

«  Ici se présente une considération qui a joué un rôle bien funeste depuis une trentaine d’années, dans les causes des nombreux revers éprouvés par des personnes qui ont voulu s’occuper d’améliorations agricoles : je veux parler de la proscription absolue des jachères qui a été professée, sans examen suffisant, par la plupart des hommes qui ont écrit sur les matières agricoles. La jachère peut être supprimée dans beaucoup de cas, cela est incontestable, mais jamais avant d’avoir amené le sol à un état suffisant de propreté ; et dans une multitude de circonstances, c’est-à-dire dans les terres fortes et argileuses, la jachère doit souvent être considérée, même dans le cours de la meilleure culture, sinon comme indispensable, du moins comme le moyen d’obtenir du sol le produit net le plus élevé, dans les exploitations de grande culture. On a fréquemment cité le Comté de Norfolk qui doit sa richesse agricole à un système de culture dans lequel la jachère ne parait pas. Mais il faut dire que les terres de ce comté sont d’une nature très sablonneuse, et que dans les Lothians, canton argileux, peut-être le plus riche et le mieux cultivé des Îles Britanniques, non seulement on fait un usage régulier de la jachère, mais on considère l’introduction de cette pratique comme une amélioration immense dans l’art de la culture et comme ayant contribué a accroître dans une très grande proportion les produits et la valeur des terres2. Il en est de même dans une multitude d’autres cantons de l’Angleterre et de Écosse où l’art de l’agriculture a été porté au point de perfectionnement le plus avancé. Là, comme dans toutes les parties les mieux cultivées d’Allemagne, on ne fait plus revenir la jachère tous les deux ou trois ans, dans toute espèce de terre, sans distinction et sans discernement, comme on le fait encore dans beaucoup d’autres localités ; mais on la ramène une fois tous les cinq, six, sept ou huit ans, dans des assolements réguliers calculés suivant la nature du terrain, de manière à entretenir le sol dans un état satisfaisant de propreté : car il faut bien que tous les cultivateurs le sachent : de tous les moyens de nettoiement du sol, il n’en est aucun de plus efficace et de plus énergique que la jachère, et dans beaucoup de cas, il n’en est pas de plus économique. Que l’on juge après cela des résultats que l’on a dû obtenir dans une multitude d’exploitations rurales, où, sans considération de la nature du sol, on a voulu d’emblée supprimer la jachère sur des terrains infestés de plantes nuisibles, souvent de temps immémorial. Avant peu d’années, la diminution graduelle des récoltes et l’impossibilité de pousser plus loin une expérience aussi mal calculée, ont fait justice de ce funeste système Je pense qu’on doit conseiller à toute personne qui débute dans le projet d’amélioration d’un domaine rural, de forcer la jachère dans les premières années, plutôt que de la restreindre ; c’est-a-dire d’y soumettre, même hors de leur tour, les terres qui, par leur état de malpropreté excessive, en indiquent le besoin, Dans tous les cas, les jacheres devront être soignées, tant pour le nombre de labours que pour leur bonne exécution, et c’est certainement là un des points sur lesquels il sera bon de commencer a s’éloigner des pratiques vicieuses du pays, en s’écartant des habitudes de negligence que l’on apporte ordinairement à l’execution des travaux de la jachere dans les cantons où l’art de la culture est peu avancé. »

 

Les Anglais, chez qui le calembour étymologique jachère-jacere est évidemment impossible, n’ont jamais poussé si loin que nous l’erreur sur la notion de jachère Dans un manuel d’agriculture publié en 1962, par exemple, celle-ci est traitée sous la rubrique Combined Tillage Operations for Cleaning Land (Robinson, 1962 : 135), ce qui est parfaitement correct. On y apprend que la jachère est encore utilisée çà et là dans les sols lourds en Angleterre. Il en est de même en France, d’ailleurs, notamment dans le Nord-Est où des sols lourds, des étés frais et l’absence de sucreries font qu’il ne reste pas beaucoup d’autres précédents possibles pour le blé.

 

Cela dit, trois questions au lecteur. 1° Le texte de MATHIEU DE DOMBASLE était-il compréhensible avec la notion banale actuelle de jachère ? 2° Si de pareils contresens sont possibles à propos d’une technique aussi proche de nous, que ne doit-on pas craindre lorsqu’il s’agit d’agricultures lointaines, exotiques ? Et enfin, 3°, peut-on vraiment considérer tout cela comme un aimable folklore sans intérêt sérieux pour nous aujourd’hui ?

 

 

 

LES TECHNIQUES ET LA TECHNOLOGIE

 

« Pour bien parler des techniques, il faut d’abord les connaître. Or il est une science qui les concerne, celle qu’on appelle la technologie, et qui n’a pas en France la place à laquelle elle a droit ». C’est en 1948 que Marcel MAUSS faisait cette constatation, à laquelle hélas, il n’y a rien a changer aujourd’hui. Avec André LEROI-GOURHAN, dont l’œuvre est également fondamentale (1972), Marcel MAUSS est un des fondateurs de la technologie en France. Non pas qu’ils aient été les premiers à en parler. D’autres, comme J. BECKMANN (1780 & 1783-1804), A. ESPINAS (1897) et CH. FRÉMONT3, l’avaient fait bien avant eux. Mais l’apport de l’ethnologie, sur le plan de la méthode, devait être décisif. Car si l’on a insisté sur la rationalité des techniques, il faut bien comprendre que cette rationalité se définit à l’intérieur d’un cadre culturel déterminé. Un exemple, choisi pour sa banalité. Les outils actuels du terrassier, pelle et pioche, ne sont probablement pas très anciens sous leur forme actuelle. Nous ignorons d’ailleurs à peu près tout de leur histoire, si ce n’est que notre pioche actuelle est sans doute l’outil qu’on appelait tournée auvergnate au début du XIXe siècle. Leur efficacité n’est pas contestable, puisqu’on les trouve aujourd’hui sur tous les chantiers. Mais cette efficacité est liée à une organisation du travail, qui est un fait culturel. D’autres peuples arrivent à une efficacité comparable avec des outils bien plus rudimentaires, grâce a un développement pousse du travail en équipe. En Angleterre, par contre, où l’on préfère en général le travail solitaire, les outils sont différents. Pendant la guerre de 1914-1918, Marcel MAUSS, qui était interprète auprès des Britanniques, rapporte que « les troupes anglaises avec lesquelles j’étais ne savaient pas se servir de bêches françaises, ce qui obligeait à changer 8 000 bêches par division quand nous relevions une division française, et inversement » (Mauss, 1935) Soixante ans plus tôt, l’agronome BARRAL (1854) avait déjà observé qu’« en Angleterre, l’homme qui bêche détache la terre, et par un second mouvement la jette de côté. Il n’en est pas de même en France, où un ouvrier enlève avec une pelle la terre fouillée par un autre ouvrier qui bêche ou qui pioche ».

 

Toute technique, donc, appartient à un ensemble culturel en dehors duquel elle perd une partie de sa signification. Plus concrètement, cela signifie qu’une technique ne peut être comprise que si l’on connaît sa place dans la ou les chaînes opératoires dont elle fait partie. C’est cette place qui définit sa fonction : ainsi la fonction de l’araire, on l’a vu, est-elle de couvrir les semences. Cela conduit, d’ailleurs, à se méfier des catégories trop générales. Il y a araire et araire, houe et houe, et ce dont il faut partir, ce n’est pas de l’instrument en général, mais au contraire de tel instrument, observe en tel endroit, à telle date, en telles circonstances, et utilise dans tel but. C’est sur de telles observations à ras du sol qu’on peut fonder une technologie scientifique. La méthode n’est autre que celle de l’ethnographie de terrain, et ce n’est pas un hasard si c’est à des ethnographes que nous devons l’essentiel de ce que nous savons sur les techniques agricoles anciennes et exotiques.

 

Cependant, si l’apport de l’ethnologie est ainsi absolument fondamental, il serait abusif de considérer toute la technologie comme une simple branche de l’ethnologie. Dans la pratique d’ailleurs, les ethnologues ont pris l’habitude de parler, en ce qui les concerne, de technologie culturelle (Haudricourt, 1968 ; Michea, 1968)4. Les historiens, quant à eux, parlent simplement d’histoire des techniques mais on pourrait aussi, par souci d’homogénéité, parler de technologie historique. Les aspects les plus actuels, directement liés à l’émergence et à la diffusion des techniques nouvelles, pourraient faire l’objet d’une technologie comparée. Une spécialisation importante, portant sur l’étude des gestes et comportements habituels du travail, est celle de l’ergologie. Enfin, l’étude des choix et des décisions qui conduisent à l’action est l’objet d’une discipline dont ESPINAS a été l’un des pionniers, la praxéologie. Naturellement, ce découpage n’a rien de définitif, ni d’exhaustif, et on pourrait sans peine imaginer d’autres subdivisions. L’essentiel, c’est de bien voir que tous ces aspects sont complémentaires, et qu’ils sont tous également nécessaires à une connaissance scientifique complète de l’activité technique des hommes, qui est l’objet de la technologie tout court. Voici d’ailleurs comment celle-ci est définie par un technologue de l’enseignement technique, qu’on ne peut accuser d’aucune complaisance suspecte pour le passe ou le folklore :

 

« La technologie est l’étude complète des techniques, outils, appareils, machines, matériaux (et nous ajoutons : gestes, concepts opératoires, etc.), qui sont utilisés en vue d’une action définie, dans un milieu humain, économique, géographique déterminé à une époque donnée. Elle débouche sur des études de structures qui se retrouvent dans tous les objets. Il n’y a donc pas d’étude technologique complète hors d’un contexte déterminé. » (Geminard, 1970)

 

Ajoutons seulement, pour terminer sur ce point, un mot sur les rapports entre la technologie et une science dont le développement récent a été considérable, l’épistémologie. On connaît, sur ce plan, l’œuvre d’hommes comme Gaston BACHELARD et Jean PIAGET. Naturellement, épistémologie est susceptible d’autant de subdivisions internes que la technologie (PIAGET, par exemple, représente une épistémologie génétique ; ce que les anthropologues appellent ethnoscience - étude des savoirs cognitifs de tradition orale - correspond a une épistémologie culturelle, etc.) Mais ce qui nous importe ici est de situer les deux disciplines, technologie et épistémologie, l’une par rapport à l’autre. Il y a deux façons de voir les choses. Ou bien on considère l’épistémologie comme l’étude de tous les savoirs humains sans distinction, et alors la technologie en est une branche. Ou bien, comme on le fait le plus souvent, on considère l’épistémologie comme s’intéressant uniquement aux sciences, aux savoirs de caractère cognitif : alors la technologie, qui s’intéresse aux savoirs opératoires, doit en être nettement distinguée. Si l’on a bien pris conscience de cette dualité, d’ailleurs, cette question de vocabulaire importe peu.

 

 

 

(2ème partie)

 

LA TECHNOLOGIE DE L’AGRICULTURE

 

Si, selon le mot de Marcel MAUSS, la technologie n’a pas en France la place à laquelle elle a droit, la situation est pire encore en ce qui concerne la technologie de l’agriculture. L’historien Charles PARAIN, un de nos grands pionniers dans ce domaine (et, comme il se doit mieux connu à l’étranger qu’en France), pouvait déplorer presque dans les mêmes termes en 1957 et aujourd’hui le manque de plan d’ensemble et de moyens (Parain, 1957 et 1975). Ce n’est pas que rien n’existe, bien au contraire. La contribution des linguistes et des ethnologues, notamment a été considérable. Mais malgré tout, ce qui a été fait représente bien peu devant ce qui reste à faire, et surtout, les publications sont dispersées au point d’être inaccessibles si ce n’est au prix de pénibles marches et contremarches. En particulier les synthèses font défaut : celle de Charles PARAIN lui-même, sur les procédés de battage en France, a paru en 1938 dans une revue qui a disparu depuis la guerre ; étude récente de Mme M. J. BRUNHES DELAMARRE sur l’attelage au joug a été publiée en 1969... à Prague ; et il est étonnant qu’aucune tentative de cartographie des assolements n’ait été faite avant la nôtre, alors que les matériaux ne manquaient pas (Sigaut, 1976). Tout cela indique une chose : c’est que la dispersion des efforts est telle que l’effet « boule de neige », qui préside au démarrage de toute discipline nouvelle, ne se fait pas.

 

On a surtout insisté jusqu’ici sur les aspects historiques de la technologie de l’agriculture, et il y a un risque que intérêt de cette discipline pour les réalités actuelles apparaisse mal. Mais si on a dû commencer par l’histoire, c’est parce qu’il faut bien commencer par le commencement. Il y a des notions techniques élémentaires - des axiomes en quelque sorte - qu’il faut bien retrouver si on veut établir la logique de cette construction complexe qu’est l’univers technique. L’erreur courante est de penser que ces notions, parce qu’elles sont élémentaires, sont facilement accessibles. Rien n’est plus faux, et c’est pourquoi tant de sottises ont été écrites à propos, par exemple, de l’origine de l’agriculture (le mythe de son invention par les femmes à partir de plantes poussées sur des tas d’ordures, et bien d’autres ; l’archéologie actuelle est en train de balayer tout ce fatras). L’évolutionnisme simpliste sur lequel nous avons tous peu ou prou tendance à nous appuyer, dans ce domaine, est à combattre énergiquement.

 

Une autre raison de cette priorité à l’histoire est que le passe, par le recul qu’il nous offre, nous donne une vision particulièrement claire des choses. Les systèmes de culture de la France de 1800, par exemple, sont certainement plus faciles à restituer que ceux d’aujourd’hui. Non pas qu’ils fussent plus simples. Mais leur structure s’exprimait avec plus d’évidence dans un outillage de fabrication entièrement locale, et dans un langage peu chargé d’apports extérieurs. Aujourd’hui, l’uniformité au moins apparente d’une bonne part de l’outillage et du vocabulaire technique impose des recherches plus approfondies pour atteindre à la spécificité des systèmes de culture locaux, spécificité d’ailleurs plus difficile à définir dans une situation générale en voie de changement rapide. En définitive, l’intérêt du passé est double. Il permet de mettre au point la méthode, et il est une composante nécessaire à la compréhension du présent.

 

Cela dit, le présent pose des problèmes entièrement nouveaux. La différence la plus fondamentale qui oppose la situation actuelle à la situation ancienne est certainement le mode de transmission des connaissances. Jusqu’au début du XXe siècle pratiquement, les savoirs techniques se transmettaient exclusivement de bouche à oreille, de père à fils, de voisin à voisin. Il n’y avait pas de distinction entre conception et exécution. On sait comment cette distinction s’est développée dans l’industrie à la fin du XIXe siècle (elle a atteint son point culminant avec les travaux de TAYLOR, et on peut se demander aujourd’hui si elle n’a pas la majeure part de son avenir derrière elle). Mais l’activité agricole est trop complexe, les décisions à prendre sont trop nombreuses et leur urgence trop grande pour qu’il soit possible d’y séparer ainsi la pensée de l’action. Ce n’est pas faute de l’avoir tenté ; les énormes "Bonanza farms" du Dakota du Nord au siècle dernier n’ont pas survécu beaucoup plus longtemps que le "Peanut Scheme" de l’après-guerre en Afrique anglaise, et si la récolte de céréales de 1975 de l’URSS a atteint, dit-on, le niveau de... 1913, la rigidité de l’organisation du travail dans ce pays n’y est certainement pas pour rien. En fait, quelle que soit l’importance des apports de connaissances extérieures, il reste qu’une part essentielle des savoirs nécessaires à la pratique du métier d’agriculteur continue à être transmise sur le mode traditionnel, et c’est probablement pour cette raison qu’encore aujourd’hui on naît agriculteur beaucoup plus qu’on ne le devient.

 

Cela étant, les tâches d’une technologie de l’agriculture actuelle seraient à notre avis les suivantes.

 

D’une part, éclairer toute cette zone d’ombre que constituent les savoirs d’origine interne, c’est-à-dire élaborés et transmis par les agriculteurs eux-mêmes, en dehors de toute intervention volontaire des organismes de conseil. Cette tâche est en quelque sorte une prolongation dans le présent de la technologie historique. Elle intéresse surtout les activités les plus complexes, les plus difficiles à standardiser, celles où la part de l’imprévu est la plus grande (le travail du sol, certains modes d’élevages, l’élaboration des décisions dans certains domaines, etc.). Il serait erroné de penser que ce champ de recherche devrait aller en diminuant d’importance. Il ne fera que s’étendre au contraire, dans la mesure où le progrès des connaissances d’origine extérieure ne pourra qu’accroître le nombre et la complexité des adaptations nécessaires et des choix possibles.

 

La seconde tâche d’une technologie de l’agriculture actuelle serait étude de la transmission des savoirs entre ces deux sous-ensembles sociaux que sont les agriculteurs d’une part, et les "conseillers" de l’agriculture d’autre part (au sens large du terme : conseillers proprement dits, mais aussi enseignants, chercheurs, techniciens, etc.). Ce problème est, si l’on veut, celui de l’efficacité de la vulgarisation. Mais on s’interdit de le résoudre si on le pose seulement en termes de vulgarisation5 c’est-à-dire si, sans trop s’interroger sur la pertinence de celle-ci, on se borne à chercher des explications d’ordre socio-économique ou psychologique à ses difficultés. Bien sûr, les facteurs de cet ordre jouent un rôle, qu’il ne s’agit pas de nier. Mais les raisons les plus profondes sont d’ordre épistémologique : c’est dans la cohérence du système de notions sous-jacent à chaque système de culture qu’il faut les chercher. Une innovation n’est possible que si elle trouve sa place dans ce système. Le véritable problème n’est pas celui de l’efficacité de la vulgarisation, mais celui de la pertinence de l’innovation. Le "refus" de celle-ci, comme on l’a vu plus haut avec le cas de l’araire en Afrique Noire, n’est, scientifiquement parlant, qu’un artefact, une fausse apparence créée par une fausse problématique. L’histoire montre au contraire (ou plutôt montrerait, si nous la connaissions mieux) que les agriculteurs de tous les pays sont capables d’adopter avec un empressement parfois étonnant les innovations qui leur profitent vraiment. Ils se chargent même souvent de les inventer eux-mêmes, et a côté des échecs de la vulgarisation, il y a des réussites de cette "non-vulgarisation", si l’on peut dire.

 

Ce sont ces réussites-là qui font les agricultures les plus prospères. Celles-ci posent moins de problèmes que les autres, du point de vue du vulgarisateur, aussi sont-elles moins étudiées. Mais il est bien certain que c’est à leur autonomie de choix et de décision qu’elles doivent leur dynamisme. La relation de l’agriculteur avec ses "conseillers" n’est pas la même dans le Soissonnais, dans l’Ardèche et au Sénégal. Voilà au moins deux siècles que les fermiers de la Région parisienne ont su prendre et garder l’initiative de leurs propres progrès, et il est difficile de ne pas y voir un des facteurs de leur réussite. Pour les agricultures moins avancées, le problème n’est pas d’introduire telle ou telle formule nouvelle, aussi judicieuse soit-elle. Le problème est de leur permettre de retrouver cette capacité d’initiative que les hasards de l’histoire leur ont enlevée. Et on n’y parviendra pas par le simple accroissement d’un effort de vulgarisation, qui risque au contraire de dévaloriser un peu plus les efforts d’innovation indigènes. Une tentative comme celle de "Frères des Hommes" s’appuie sur une analyse de ce genre, de même qu’un certain refus de l’expert occidental qui se manifeste depuis quelque temps dans un nombre croissant de pays du Tiers-Monde.

 

En réalité, le problème se pose en termes de culture. Notre culture, au sens que les ethnologues donnent à ce mot, c’est l’ensemble des savoirs (et des ignorances) qui nous permettent de vivre conformément aux normes reçues dans le milieu naturel et social auquel nous appartenons. Il est clair que nous ne pouvons rien percevoir du monde qui nous entoure qu’à travers la grille conceptuelle qui nous est fournie par notre propre culture (sauf à remettre celle-ci en question, attitude subversive qui est à la base de toute démarche scientifique). Or, il y a des cultures techniques comme il y a des cultures tout court. L’Esquimau qui démonte un ciseau a bois pour en remonter la lame en herminette (Leroi-Gourhan, 1972) agit ainsi parce que sa culture technique ignore la percussion posée avec percuteur. De même, lorsque des paysans iraniens utilisent un pulvérisateur à disques pour dépiquer leur blé, ils "voient" dans cet appareil autre chose que l’instrument de travail du sol qu’il est pour nous (Lerche, 1968). Et réciproquement, un grand nombre d’agronomes, de géographes et d’historiens ont "vu" dans la jachère, l’écobuage, l’araire, etc., autre chose que ce qu’y voyaient les intéressés. Une formulation imagée est celle de M. SALMONA. Cet auteur distingue une culture techno-économique prescrite, qui est celle des "conseillers" de l’agriculture, et une culture techno-économique spontanée, ou plutôt non-prescrite6, qui est celle des agriculteurs eux-mêmes (bien entendu, il y a un très grand nombre de cultures non prescrites différentes). Dans la mesure où il y a ignorance réciproque, il peut s’élever des malentendus, voire des conflits, entre représentants de l’une et des autres cultures. Malentendus dont les refus d’innovation ne sont sans doute le plus souvent qu’un cas particulier.

 

Il est vrai que la culture "prescrite" est nettement supérieure aux autres sur le plan scientifique. Mais il est vrai aussi qu’elle est loin d’être entièrement scientifique, dans la mesure notamment où des connaissances d’origine scientifique tendent à devenir de simples formules lorsqu’au cours de leur diffusion, elles se trouvent séparées du processus de recherche dont elles sont le résultat. En outre, les cultures "non prescrites" ont l’avantage d’être plus directement opératoires. On n’a d’ailleurs pas d’autre choix que de bâtir sur elles, car l’expérience a assez montré que ce n’est pas en les ignorant qu’on pouvait les dépasser. Le capital de savoir efficace que représentent les cultures paysannes n’est nullement négligeable, et la thèse a même été soutenue : que les agriculteurs des pays sous-développés ne disposaient pas, en fait, d’alternative objectivement supérieure à leur pratique traditionnelle (Schultz, 1964). C’est certainement exagéré. Mais il reste que de toutes les traditions agricoles mondiales, quelques-unes seulement ont été fécondées par les progrès scientifiques et techniques du siècle écoule. Le corps de doctrine qui est l’aboutissement de cette longue évolution reste marque par ses origines : l’agronomie actuelle est européenne autant qu’elle est scientifique, et seule l’histoire pourrait nous dire dans quelles proportions relatives. Prendre en compte les autres traditions techniques agricoles, ce n’est pas revenir au folklore ou au passé. C’est au contraire ouvrir la voie à des progrès nouveaux, et pour ainsi dire à une décentration, à une généralisation de l’agronomie. Telle est la tâche a laquelle, si les moyens lui sont donnés de se développer, la technologie de l’agriculture pourra apporter une contribution importante.

 

 

 

CONCLUSION

 

Notre actuelle méconnaissance des techniques a peut-être des conséquences plus importantes que nous n’avons tendance à l’imaginer. L’erreur qu’elle représente se situe sur deux plans. Sur le plan économique, parce que l’invention proprement technique, dont les mécanismes sont distincts de ceux de la découverte scientifique, continue et continuera à jouer un rôle irremplaçable dans notre développement. Sur le plan épistémologique et pédagogique, parce que tant que sa structure demeurera inconnue, l’univers technique n’apparaîtra que comme une collection disparate de formules empiriques sans intérêt général. Il n’est pas difficile, dans ces conditions, de prévoir que la tentative actuelle de réhabilitation du travail manuel, aussi bien intentionnée qu’elle soit, échouera comme les précédentes. Il n’y a pas lieu de "réhabiliter" le travail manuel, mais seulement de comprendre qu’il n’est pas moins chargé d’intelligence que le travail intellectuel, et qu’il faut par conséquent lui rendre la place qui lui revient dans le bagage des connaissances de l’homme moderne. Il ne faut pas moins d’intelligence pour monter un meuble que pour faire une version latine ou pour réciter une leçon de physique, et il n’y a donc aucune raison pour que l’enseignement "technique" soit séparé de l’enseignement dit à tort "général" (à tort, puisqu’il ignore les techniques). Il faut exorciser TAYLOR. Mais pour que cela soit possible, il faut d’abord reconstruire cet univers technique dont nous détruisons régulièrement la cohérence logique en rejetant activement dans l’oubli toutes ses réalisations, dès qu’elles se trouvent dépassées. Cette tâche de très longue haleine est celle de la technologie, et plus particulièrement de la technologie historique et culturelle.

 

 

 

 

 

RÉFÉRENCES CITÉES

 

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1 Couvrir est un mot technique, en ce sens qu'on ne couvre un semis qu'à la charrue ou à l'araire, jamais à la herse.

 

2 M.de D. fait ici allusion au cas écossais, tel qu'on vient d'en parler. Les trois Comtés d'East, Mid et West Lothian, sont situés au Sud d'Edimbourg.

 

3 Les ouvrages de Charles FRÉMONT, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers au début de ce siècle, sont nombreux. La meilleure bibliographie en a été donnée par J. NEEDHAM.

 

4 Voir aussi les articles "Technologie" et "Technologie culturelle" de 1'Encyclopaedia Universalis, Paris 1972.

 

5 Le terme même de vulgarisation implique une certaine conception de la répartition sociale du savoir. Conception pas très ancienne, puisque le mot n'est attesté que depuis 1852 (Petit Robert).

 

6 Le terme spontané convient mal, en effet, en ce sens que la culture prescrite est elle aussi spontanée.