Rapport présenté au 5e CIMA, Neubrandenburg (RDA), sept. 1978), Acta Museorum Agriculturae, 13, 1-2 : 60-85. [Tapuscrit]
Exposé présenté au 5e CIMA1 par F.Sigaut (1978)
Publié dans Acta Museorum Agriculturae, 13, 1-2 : 60-85
Lorsque le Professeur Jacobeit me demanda de présenter un exposé sur ce thème, je me trouvai à la fois extrêmement flatté, et très embarrassé. Très flatté, cela va sans dire. Et très embarrassé, parce qu’il n’y a pas en France de Musées d’Agriculture tels qu’on les connaît dans de nombreux autres pays, et parce qu’en outre je n’ai jamais exercé aucune responsabilité d’aucune sorte dans un musée, qu’il soit d’agriculture ou non. Comment faire, dans ces conditions, pour ne pas décevoir la confiance qui m’était faite ? On ne peut parler convenablement que de ce qu’on connaît. Or, c’est seulement comme usager que j’ai pu acquérir quelque connaissance des musées ethnographiques, technologiques ou d’agriculture. C’est donc seulement le point de vue d’un usager particulier que je vais essayer de vous présenter.
Introduction : le développement de l’idée de musée depuis la Révolution, française ; place de l’agriculture dans ce développement.
C’est toutefois par un bref rappel sur la situation en France que je voudrais commencer. L’idée de conserver les témoignages du passé est fort ancienne, elle remonte probablement aux premières civilisations urbaines. Mais on sait qu’elle reçut une impulsion nouvelle avec la Révolution de 1789. Certes, la Première République ne fit pas tout, ne serait-ce que parce que sa durée fut trop courte – moins d’une dizaine d’années –, mais son impulsion fut décisive, en ce qu’elle fit de la conservation des témoignages du passé une tâche d’intérêt public, sous la responsabilité de l’Etat. Cela ne fut d’ailleurs pas sans inconvénients, on va le voir. Mais l’œuvre législative qui en a résulté est d’une cohérence impressionnante. L’idée de conservation fut appliquée aux documents administratifs (Archives Nationales), aux imprimés (Bibliothèque Nationale), aux objets d’art (Museum des Arts, devenu Musée du Louvre), aux monuments (Museum des Monuments français, plus tard lois protégeant in situ les monuments et sites dits « historiques »), aux instruments de musique (Conservatoire National de Musique), aux outils et machines (Conservatoire des Arts et Métiers), et enfin aux objets naturels, animaux, végétaux et minéraux (Museum National d’Histoire Naturelle).
Malheureusement, tout grandiose qu’il fût, ce plan était vicié dès le départ par deux graves défauts, ces deux mêmes défauts qui affectent si fortement la société française dans son ensemble : une centralisation absolue, toutes les initiatives devant venir de Paris, et une rigidité excessive, ne laissant guère de place aux innovations imprévues et les innovations les plus importantes, on s’en doute, sont toujours les moins prévisibles. Ce que les Conventionnels étaient complètement incapables d’imaginer, en particulier, c’est que la vie quotidienne elle-même dût un jour avoir sa place dans les musées. Il n’y a d’ailleurs que peu de temps que cette nécessité commence à être largement comprise en France.
Ces deux défauts devaient porter un préjudice particulièrement grave à la représentation de l’agriculture dans les musées. La centralisation des initiatives surtout, car il est bien évident que la France est beaucoup trop étendue, ses systèmes de culture régionaux sont trop différents et trop nombreux pour qu’un seul établissement central puisse prétendre les représenter valablement. Il est vrai que les dangers de la centralisation avaient été clairement reconnus par certains Conventionnels. C’est Barère qui déclarait à l’Assemblée Nationale, le 6 février 1793, à propos du projet de Museum des Arts « et des établissements pareils [prévus] dans chaque département de la République, [qu]’il ne doit pas plus y avoir une capitale des arts qu’une capitale politique dans un pays libre ». Mais les innombrables déclarations de ce genre sont toujours chez nous restées à peu près lettre morte.
Le second défaut des projets révolutionnaires était leur rigidité. Mais celle-ci ne fit sentir ses effets que peu à peu. L’agriculture n’avait pas été oubliée, certes. Mais elle était coupée en deux, entre le Conservatoire des Arts et Métiers, chargé des outils et machines, et le Museum d’Histoire Naturelle, chargé des plantes cultivées. Le résultat fut tel qu’on pouvait s’y attendre. N’occupant une place centrale dans aucun des deux établissements, l’agriculture fut de plus en plus négligée dans l’un et l’autre, et cela d’autant plus que tous les deux connurent des difficultés matérielles à plusieurs périodes de leur histoire. Aux Arts et Métiers, il semble que plusieurs périodes de quasi-abandon des collections aient eu lieu, au cours desquelles, quand les objets ne furent pas perdus, leur provenance ou leur identité le furent souvent. Mais c’est le Museum d’Histoire Naturelle qui nous offre sur ce plan l’anecdote la plus significative.
Une collection d’instruments agricoles y avait été rassemblée dans les années 1795-1820, par les soins des botanistes et agronomes qui parcouraient alors l’Europe ; l’un d’entre eux fut A.-P. de Candolle, qui fait allusion à cette collection dans ses rapports de mission (1807, 1808). Le responsable de cette collection était André Thoüin (1747-1824), qui fut le premier titulaire de la chaire de culture au Museum, et qui fit lui-même plusieurs voyages aux Pays-Bas et en Italie (1841). De nombreux outils de cette collection furent représentés dans l’Atlas annexé à son Cours de culture et de naturalisation des végétaux, publié après sa mort en 1826.
Qu’advint-il par la suite de la collection de Thoüin ? Tout ce qu’on en sait, c’est que quelques modèles réduits d’instruments agricoles – soixante-deux au total – dont personne ne soupçonnait plus l’existence, furent sauvés de justesse de la destruction lors de la démolition de vieux bâtiments en 1944 (Guillaumin et Chaudun 1944). J’ai pu encore m’entretenir avec un des auteurs de la découverte, A. Guillaumin, il y a quelques années, peu de temps avant sa mort. Les objets avaient été aperçus par hasard sur un tas de détritus destinés à la décharge ! Rien ne montre mieux que cette anecdote, je crois, à quel point on s’était désintéressé de la conservation des anciens instruments agricoles en France, jusqu’à une période toute récente.
En fait, les choses ont commencé à changer rapidement depuis quelques années, sous l’impulsion du régionalisme et du développement des études d’ethnologie française. Les collections locales, publiques et privées, se multiplient. Mais la tendance centralisatrice est toujours à l’œuvre. Elle est source de conflits entre l’administration centrale et les responsables d’initiatives locales. Et une des conséquences de cette situation est, par exemple, qu’il n’existe pas d’inventaire à jour des collections d’outillage agricole en France.
Le chercheur et les objets : forme, fonctionnement, fonction ; l’exemple de la herse.
Mais revenons à notre point de départ. Comme je l’ai indiqué au début, c’est le point de vue d’un chercheur que je vais essayer de vous présenter. D’un chercheur pour qui les collections d’outils et de machines sont une source d’informations fondamentale.
C’est bien entendu à l’agriculture dans son ensemble que s’intéressent les chercheurs. Et plus précisément, car l’agriculture en général est une notion bien abstraite, à des agricultures, chacune d’elles étant constituée par un ensemble de pratiques techniques mises en œuvre en un lieu et à une époque déterminés. Or, tous ceux qui ont travaillé dans ce domaine savent bien qu’à l’intérieur de chaque agriculture, chaque pratique technique est en relation directe ou indirecte, médiate ou immédiate, avec toutes les autres. C’est ce qu’on peut exprimer simplement en disant que chaque agriculture a la structure d’un réseau. Un des premiers objectifs du chercheur est évidemment de reconstituer les mailles de ce réseau, dans toute la mesure du possible.
Ces remarques sont fort banales, mais on peut, me semble-t-il, en tirer deux conséquences qui le sont peut-être moins. La première, c’est que le réseau agricole fait partie intégrante du réseau social tout entier, sans qu’on puisse tracer entre l’un et l’autre de limites autres que celles qui sont utiles pour la commodité de l’analyse. Cette première conséquence est trop évidente pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Il me semble plus utile d’insister sur la seconde, qui n’a peut-être pas retenu toute l’attention qu’elle mérite : je veux parler de l’étude des outils. Car si l’on admet ce qui précède, toute étude d’outil doit aboutir à déterminer sa place exacte dans le réseau agricole auquel il appartient, c’est-à-dire la totalité des relations qui l’associent aux autres éléments du système de culture. C’est cette place dans le réseau, cet ensemble exhaustif de relations, qu’on peut appeler la (les) fonction(s) de l’outil en question. Et il apparaît alors que trois niveaux d’analyse sont possibles et nécessaires dans l’étude d’un instrument agricole :
1° Sa forme, ou sa structure, telle qu’elle résulte du processus de sa fabrication ;
2° Son fonctionnement, c’est-à-dire son mode d’emploi et son mode d’action sur la matière ;
3° Sa fonction, c’est-à-dire sa place et son rôle dans le réseau auquel il appartient, et en particulier (mais pas seulement) l’ensemble des finalités pour lesquelles il est mis en œuvre.
La distinction entre forme et fonction est évidente. Celle entre fonctionnement et fonction l’est peut-être moins. Pour fixer les idées, je dirai que dans l’ouvrage classique de P. Leser, Entstehung und Verbreitung des Pfluges, c’est le point de vue de la forme qui est privilégié, au point que dès la première phrase de l’introduction, l’auteur pose comme principe méthodologique la non-pertinence des problèmes fonctionnels. Dans L’homme et la charrue, au contraire, c’est le point de vue du fonctionnement qu’adoptent A.-G. Haudricourt et M. J.-Brunhes Delamarre, me semble-t-il, car c’est sur le mode de travail des instruments qu’ils se basent pour établir la distinction entre l’instrument symétrique (araire) et l’instrument dissymétrique (charrue), ou plus précisément pour établir le caractère fondamental de cette distinction. D’une manière générale, beaucoup d’ethnologues se sont longtemps intéressés de préférence aux études de forme. Et même si cela n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui, il en reste des traces – par exemple la rareté des références au poids des outils dans la littérature ethnographique, alors qu’il s’agit d’un facteur si essentiel, notamment dans le cas des outils à bras. (J’ai été fort surpris, par exemple, de ne trouver aucun poids d’outil dans ce livre pourtant admirable à d’autres égards qu’est The Spade in Northern and Atlantic Europe.) A l’inverse, les études de fonctionnement sont toujours plus ou moins restées l’apanage des ingénieurs et techniciens pour ne pas parler des paysans eux-mêmes, pour qui les problèmes de fonctionnement ont évidemment toujours eu une importance capitale. Mais ni les uns ni les autres, me semble-t-il, n’ont attaché suffisamment d’intérêt aux problèmes de fonction proprement dits. Je vais essayer de montrer à l’aide de quelques exemples à quoi on peut aboutir lorsque l’on se propose d’adopter ce nouveau point de vue.
Mon premier exemple sera celui de la herse, car il illustre de façon particulièrement concrète la distinction entre fonctionnement et fonction. La herse est un instrument qui, à tort je pense, a beaucoup moins retenu l’attention que la charrue. Or, lorsqu’on examine les faits relatifs à l’utilisation de la herse en France à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, on voit apparaître une opposition très tranchée sur le plan géographique. Dans les deux tiers sud et est du pays, en effet,la herse n’est jamais utilisée pour enterrer les graines de céréales semées à la volée, alors que cette utilisation est tout à fait courante dans la partie nord-est. (La limite entre ces deux zones est une ligne sinueuse qui va de l’ouest de la Normandie au sud de la Franche-Comté, et que je ne suis pas encore à même de tracer avec exactitude.)
Je reviendrai plus loin sur la signification de cette opposition, que je crois importante. La remarque que je voudrais vous proposer ici, c’est qu’il s’agit d’une différence, non de forme ni de fonctionnement, mais bien de fonction. Il existe en effet des herses dans le midi et l’ouest de la France. Elles y sont utilisées, comme ailleurs, pour aplanir les champs, pour briser les mottes, pour arracher les mauvaises herbes, etc., et comme toutes ces utilisations existent aussi dans le nord-est, rien ne prouve qu’il doive exister des différences significatives de forme et de fonctionnement entre les herses de l’une et de l’autre zone. La différence est donc d’abord dans la fonction, et ce qu’il me semble important de souligner, c’est que cette différence de fonction ne peut pas être déduite du seul examen des objets eux-mêmes. Une herse étant donnée en effet, sur laquelle on ne saurait rien en dehors de ce que l’on peut tirer de l’examen de l’instrument lui-même, je ne vois pas comment il serait possible de déterminer si cette herse était ou non utilisée pour recouvrir les semis. (Cette situation n’est pas rare, c’est celle de la plupart des objets retrouvés dans les fouilles archéologiques.)
Ce que cela signifie, en d’autres termes, c’est que dans l’étude de l’outil, il est beaucoup plus difficile – c’est même sans doute souvent impossible – de remonter de la forme de l’objet à son fonctionnement et à sa fonction, que de procéder à l’approche inverse. Autrement dit encore, cela signifie que le chercheur a intérêt à prendre comme point de départ les fonctions plutôt que les objets, chaque fois que cela lui est possible. Et si on applique cette conclusion au problème de la charrue, on ne peut manquer d’être surpris de l’énorme contraste qui existe entre l’abondance de la littérature ethnographique consacrée à l’instrument lui-même, et la pauvreté de cette même littérature lorsqu’il s’agit de ses fonctions, c’est-à-dire des labours et de leurs finalités. Il y a peut-être des centaines de titres, dont certains très importants, sur la charrue et l’araire. Mais combien y en a-t-il sur les labours et les semis ?
Fonctions de l’avant-train et forme des labours.
Prenons donc comme point de départ une fonction, la préparation du champ, et plus exactement une technique particulière de préparation du champ, l’écobuage (paring and burning, Abplaggen). Le plus souvent, on le sait, l’écobuage se faisait à bras. Mais vers la fin du XVIIIe siècle, époque où l’écobuage avait pris une extension considérable dans toute l’Europe occidentale, d’assez nombreux modèles de charrues à écobuer furent mis au point, surtout en Angleterre. Or, une particularité remarquable des charrues à écobuer est la présence fréquente d’un avant-train – particularité d’autant plus remarquable qu’en Angleterre, on le sait, l’opinion générale des praticiens à cette époque était très nettement défavorable à l’avant-train, dont la plupart des charrues anglaises et écossaises étaient d’ailleurs dépourvues (Sigaut 1915b : 83-86). Le fait que nonobstant tout cela, la plupart des charrues à écobuer anglaises furent équipées d’un avant-train, ne peut s’expliquer que si celui-ci répondait àune nécessité contraignante et bienprécise. Quelle était cette nécessité ?
L’avant-train est classiquement un régulateur de profondeur. Or, une particularité du labour d’écobuage, c’est qu’il doit être aussi superficiel, et aussi régulièrement superficiel que possible : 2 à 3 pouces (5-7 cm) et même moins, jusqu’à un pouce parfois en Angleterre (Duhamel du Monceau 1762, I : 101 ; Sinclair 1832 : 240 ; Dickson 1805 : 347). Les raisons de cette faible profondeur sont faciles à comprendre. Dans l’écobuage, le but est de détacher la couche superficielle formée par le feutrage des racines, le gazon, pour ensuite la faire sécher et la brûler. Il est clair que dépasser la profondeur strictement nécessaire ne sert à rien, si ce n’est à rendre plus difficiles et plus coûteuses les opérations ultérieures de séchage et de brûlage. D’où l’intérêt d’un contrôle aussi efficace que possible de la profondeur de travail, et c’est là, apparemment, que se situe le rôle spécifique de l’avant-train.
Dans quelle mesure peut-on généraliser cette relation qui semble exister entre l’avant-train et la nécessité de labours superficiels ? Double question, en réalité. Car au-delà de la fonction de l’avant-train, que nous cherchons à expliciter, il y a celle des labours superficiels, qui doit l’être également. Comment se définissent-ils dans l’ensemble des labours ? A quelles circonstances, à quelles nécessités spécifiques répondent-ils ?
Notons d’abord que l’hypothèse d’une relation spécifique entre avant-train et faible profondeur du labour est confirmée par l’opinion de plusieurs auteurs du début du XIXe siècle. En Allemagne, c’est A. Thaer (1821 : 59), qui écrit, à propos de la charrue sans avant-train de Small, que « […] cette charrue ne convient pas […] pour écroûter un gazon. Une charrue à avant-train me semble en général plus convenable pour cela, parce qu’elle conserve mieux l’épaisseur de la tranche dans un labour très superficiel ». En Grande-Bretagne, c’est J. Sinclair, pourtant adversaire déclaré de l’avant-train, qui admet que celui-ci « conserve une profondeur plus régulière et qu’il peut prendre une bande de terre plus mince » (Mathieu de Dombasle 1821 : 133). En France enfin, on trouve lors d’un essai comparatif de charrues dans la région de Caen, que « la charrue Dombasle [sans avant-train] ne peut opérer de labourage superficiel ; elle ne peut soulever moins de quatre pouces de terre » (Rapport… 1837). Cette charrue, imitée au départ des charrues anglaises, et surtout flamandes, par l’agronome lorrain C.J.A. Mathieu de Dombasle (1820), avait été prévue initialement pour fonctionner sans avant-train. Mais, à la suite d’essais tels que celui qui vient d’être cité, on devait finalement y revenir. « On a compris que pour les labours peu profonds surtout, l’avant-train est nécessaire » peut-on lire dans un écrit de 1843 (Chrétien, in H. Lepage 1843 : 305).
Bien sûr, ces opinions ne suffisent pas à faire une preuve. Elles paraissent en revanche suffisantes pour nous inciter à aller plus loin, c’est-à-dire à nous poser notre seconde question sur les labours superficiels eux-mêmes : que faut-il entendre par labours superficiels ? Dans quelles circonstances étaient-ils jugés nécessaires, et retrouve-t-on dans ces circonstances la présence significativement plus fréquente de l’avant-train ? Le simple fait de formuler cette question nous fait prendre conscience, je crois, de l’étendue de nos ignorances sur les anciennes techniques de labour. « Dans notre localité », écrit le rapporteur de l’essai de charrues déjà cité, « les premiers labours ne doivent enlever que la superficie du terrein, et, par des raisons inutiles à déduire ici, ce labourage est plus parfait en raison de la moindre épaisseur de terre soulevée » (Rapport… 1837). C’est précisément ces raisons « inutiles à déduire » auxquelles nous nous intéressons.
Notons d’abord qu’un autre reproche avait été fait par certains à la charrue Dombasle, lors d’un autre essai comparatif, qui l’avait opposé à la charrue de Brie en 1820 : celui de donner un labour de profil différent du profil accoutumé – et du même coup nous apprenons pour la première fois quel était ce profil accoutumé, trop évident sans doute auparavant pour qu’on jugeât utile d’en parler. On observa en effet (Héricart de Thury 1820),
que la tranche du prisme de terre retourné par l’araire [la charrue Dombasle] n’était point entièrement renversée, ou le dessus dessous, comme avec la charrue de Brie ; mais qu’elle restait dans une situation droite et légèrement inclinée sur la tranche du labour précédent, de manière qu’une arête du prisme restait toujours en dessus, au lieu d’offrir le renversement total du prisme, ou le labour plat, accoutumé dans le pays.
Des remarques tout à fait parallèles se trouvent d’ailleurs exactement à la même époque dans le Code of Agriculture, de Sir J. Sinclair (1821 : 132), que cite Mathieu de Dombasle dans une traduction que nous reprenons :
Dans plusieurs parties de l’Angleterre, l’usage est de placer la bande de terre entièrement à plat, et cela se rencontre particulièrement dans les cantons où on ne laboure pas en billons ; mais en Northumberland et en Ecosse on a adopté un autre système. Il est fondé sur ce principe que puisque les deux principaux objets du labour sont d’exposer la plus grande surface possible à l’influence de l’atmosphère, et de mettre la terre dans l’état le plus favorable pour que la herse puisse, de la manière la plus efficace, ameublir la surface du sol pour couvrir la semence, ces deux objets sont effectués d’une manière plus accomplie lorsque la bande de terre présente convenablement une épaule, en formant avec la verticale un angle de 45 degrés. Pour produire cet effet, la largeur du sillon doit être dans un certain rapport avec sa profondeur, c’est-à-dire environ les deux tiers, ou six pouces de profondeur pour neuf pouces de largeur. (Mathieu de Dombasle 1821 : 151.)
C’est donc apparemment deux modèles de labour qui s’opposent. L’un que nous qualifierons de « traditionnel », pour simplifier, et l’autre de « moderne ». Compte tenu des données dont nous disposons, nous pouvons résumer comme suit leurs caractéristiques :
Dimensions et profils des labours
|
Labour « traditionnel » |
Labour « moderne » |
Profil |
||
Profondeur (P) |
3 à 4 pouces (8-11 cm) |
4 à 6 pouces (11-14 cm) et plus |
Largeur( L) |
12 à 14 pouces ( 32-38 cm) |
9 pouces (25 cm) |
Rapport L/P |
3 à 4 |
3/2 à 2 |
Avec ce tableau, c’est un premier facteur qui est mis en relation avec la faible profondeur des labours : le profil dit « labour plat » (on dirait aujourd’hui « labour retourné » : Hénin 1969 : 182), qui semble avoir été une norme beaucoup plus importante autrefois qu’aujourd’hui dans certaines régions et pour certains labours. Dans quelles régions et pour quels labours ? Nous ne pouvons citer actuellement que deux régions avec certitude : la Région parisienne, où se trouve la Plaine de Trappes, et la Campagne de Caen en Normandie occidentale. Mais il y en a certainement beaucoup d’autres que les dépouillements ultérieurs permettront de trouver, notamment en Angleterre ces districts auxquels J. Sinclair fait allusion. Quant à la question de savoir quels labours, elle est beaucoup plus compliquée et va nous retenir un peu plus longtemps.
Ce sont les « premiers labours » qui ne doivent pas dépasser trois ou quatre pouces de profondeur, nous précise en effet le rapport sur les essais de charrue dans la région de Caen. Cette indication nous renvoie évidemment au modèle classique de la jachère ou guéret, c’est-à-dire à la série de trois labours ou plus, jugés nécessaires pour la préparation des semailles d’automne. J’ai déjà plusieurs fois attiré l’attention sur l’importance de la notion de jachère, et sur le contresens qui fait d’elle une terre en repos ou en friche (Sigaut 1972, 1976 , 1977 ). Il est clair qu’on ne peut rien comprendre à la problématique des labours si on les considère comme des opérations isolées, alors que chacun d’eux est en fait un maillon dans la chaine des opérations successives et coordonnées de préparation du champ. En ce qui nous concerne ici, le problème est celui de la profondeur relative des labours de jachère successifs. D’après J. Sinclair (1821 : 328), cette profondeur devait aller en décroissant, le premier labour étant plus profond que les autres. Il est possible que cette opinion corresponde à l’usage réel des Lowlands d’Ecosse, où, à vrai dire, la jachère était alors une innovation relativement récente (Sigaut 1975b). Mais cela ne semble pas correspondre au cas le plus général, pour le peu que nous en sachions. En France en tous cas, nous avons quelques exemples précis où l’usage était de donner le premier labour à faible profondeur, et de piquer davantage aux labours suivants. Dans la Plaine de Falaise, non loin de Caen, on donnait le premier labour à 3 pouces et le second à 5 ou 6 pouces (Lecellier 1836). Dans la Seine-et- Oise, le premier labour était de 4 pouces et les autres à 6 ou 7 pouces, sauf celui donné pour enterrer le fumier, qui était lui aussi de 4 pouces (Challan 1802).Et on retrouve une semblable gradation dans le Norfolk entre les deux premiers labours de jachère (Marshall 1787, I : 141 ).
L’exemple du Norfolk nous est du reste particulièrement précieux, grâce à la qualité des descriptions de Marshall. On sait que les charrues traditionnelles du Norfolk étaient munies d’un avant-train : or, il semble bien aussi que les labours superficiels y aient été relativement plus fréquents et plus importants qu’ailleurs. Même la profondeur des labours ordinaires y était strictement limitée, par la présence d’une semelle de labour appelée pan, que les cultivateurs respectaient scrupuleusement ; ceux qui l’endommageaient par un labour trop profond s’exposaient à toutes sortes de désagréments (Marshall 1787, I : 11-13). Marshall n’indique que par allusion la profondeur du pan : elle pouvait n’être que de 4 à 5 pouces seulement (ibid. : 143). Là encore, il faut noter qu’il peut y avoir un contraste absolu entre les normes agronomiques des agriculteurs d’autrefois et celles des agronomes actuels, pour qui la semelle de labour n’est que le résultat de mauvaises méthodes de travail.
Quant aux labours superficiels proprement dits, ils appartenaient à deux catégories différentes, appelées l’une ribbing, rib-ploughing ou raftering (ces termes n’appartiennent pas en propre à l’usage du Norfolk), et l’autre trench-ploughing. D’après les indications de Marshall, on peut les visualiser ainsi :
Ribbing Trench-ploughing
rice-balking slob-furrowing
Ces deux méthodes n’étaient certes pas particulières au Norfolk. Mais en ce qui concerne la première, nous dit Marshall, « je ne connais aucune région où les fermiers la pratiquent aussi couramment que dans ce comté ». Et en ce qui concerne la seconde, qui s’exécutait avec deux charrues se suivant dans la même raie,
c’est une opération difficile dans les sols minces de cette région ; mais grâce à ses roues et à son soc large, la charrue de Norfolk est singulièrement bien adaptée à ce travail. Dans un sol dont la profondeur ne dépasse peut-être pas quatre à cinq pouces, il faut découper deux minces tranches de terre dont celle du dessous doit être assez épaisse pour que celle du dessus se trouve enterrée, mais sans pour autant faire remonter en surface la moindre parcelle du substrat, le pan : et j’ai vu exécuter cela avec la plus grande exactitude. (Marshall 1787, I : 142-143.)
Deux autres régions du Sud de l’Angleterre étudiées par Marshall méritent encore d’être mentionnées pour leur technique des labours superficiels. La première est le Devon, où les deux variétés du labour d’écobuage, velling et skirting ou skirwinking (cette dernière semblable au rice-balking du Norfolk) se pratiquaient à un ou deux pouces de profondeur (Marshall 1796, I : 143-144). Il semble que les charrues spéciales utilisées pour ce travail aient été munies de roues – du moins est-ce le cas des deux exemplaires publiés par R.A Dodgshon et C.A. Jewell (1970 : Pl. 18 et 19). La seconde région est le Kent, où l’on pratiquait un labour de déchaumage (broadsharing, subploughing) à l’aide d’une lame de fer en forme de croissant fixée transversalement à l’extrémité du soc, et dont le plan formait un angle de 30 à 40° avec l’horizontale, le broadshare (Marshall 1798, I : 62). Les roues de l’avant-train et le talon du sep empêchaient le broadshare de dépasser la profondeur requise, et assuraient un travail « aussi superficiel que l’opération le comporte » (ibid. : 80). A noter que ce déchaumage, exécuté immédiatement après la moisson du blé, était suivi un peu plus tard d’un second labour superficiel, raftering.
En voilà assez, je crois, pour établir au moins provisoirement et sous bénéfice d’inventaire,
1° que les labours superficiels occupaient une place importante et spécifique dans l’arsenal des méthodes de préparation du champ des anciennes agricultures,
2° que la pratique de ces labours comportait ses difficultés propres, celles d’un contrôle très précis de la profondeur de travail,
3° que l’avant-train, ou au moins une paire de roues, étaient le moyen le plus efficace d’assurer ce contrôle.
*
Ces trois affirmations ne constituent toutefois qu’une première étape dans cette recherche. Elles ne nous disent rien, en effet, des raisons pour lesquelles une faible profondeur de labour pouvait être jugée nécessaire. Ces raisons pouvaient être très diverses, comme le montrent les exemples cités. Et ce que montrent aussi ces exemples, c’est qu’il nous faut nous garder de les chercher à la lumière de nos connaissances agronomiques actuelles. Le savoir des agriculteurs d’autrefois était différent du nôtre, et c’est sur la base de ce savoir ancien et non du savoir actuel qu’il faut essayer de retrouver la logique des techniques agricoles d’autrefois.
Cela dit, il y a, me semble-t-il, deux familles d’opérations particulièrement importantes sur le plan historique, qui exigeaient la pratique de labours superficiels : l’enfouissement des semis, lorsqu’il se faisait sous raies, c’est-à-dire à la charrue ou à l’araire, et le défrichement ou la destruction du gazon.
Je reviendrai plus loin sur la pratique des couvrailles, comme on appelait dans beaucoup de régions françaises les labours d’enfouissement des semis. Question que je voudrais évoquer plus particulièrement ici est celle de la préparation du champ en sol gazonné. Il est étrange que les géographes aient pris si peu conscience de l’importance de ce facteur écologique essentiel qu’est le gazon – avec l’exception remarquable de C.O. Sauer (1952). Chez les ethnographes, c’est E.E. Evans peut-être, qui a formulé le plus explicitement son importance sur le plan culturel (“sod-culture”, 1970 :6). Or, il est clair que la présence ou non de gazon fait une différence radicale dans les méthodes de préparation du champ, et par suite dans l’outillage. L’écobuage est une solution spécifique aux problèmes de la préparation du champ en sols gazonnés, ainsi d’ailleurs que la plupart des exemples de labours superficiels qui ont été mentionnés précédemment. Aussi sommes-nous amenés à nous demander, je crois, s’il y a un lien général entre la présence du gazon et les labours superficiels ? A cette question, deux séries d’arguments conduisent, me semble-t-il, à proposer une réponse franchement positive.
Il y a d’abord l’opinion de plusieurs auteurs, comme J. Rieffel (1840 : 308)ou G. Heuzé (1889, I : 131) en France ; en Grande-Bretagne, celle de R. Kerr (in : Sinclair 1814, I : 346) est particulièrement explicite : « un labour superficiel et d’une largeur considérable, de par exemple 4 pouces de profondeur sur 8 ou 9 de largeur, est la meilleure manière de rompre les vieilles pâtures ».
Mais il y a surtout le fait que les labours superficiels – et l’avant-train qui leur est associé – furent en quelque sorte réinventés par les colons américains lorsqu’ils atteignirent la Prairie du Middle West. Il ne manque pas de sources sur les profonds changements techniques que rendit nécessaires l’arrivée des colons dans ce milieu nouveau pour eux, et radicalement différent des régions forestières de l’Est. Les techniques de défrichement furent abondamment discutées, nous apprend A.C. Bogue (1963 : 67-85). Au début, les premiers pionniers labouraient comme à leur ancienne habitude à 5 pouces. Mais l’expérience ne tarda pas à leur apprendre qu’un labour plus superficiel encore était préférable à 1,5-2 pouces. Schob (1973) parle de 2 à 6 pouces de profondeur, sur une largeur extraordinaire de 16 à 30 pouces, 42 à 80 cm ! Pour exécuter ces labours, on utilisait des breaking-plows dont l’age reposait sur deux roues, avec un système de leviers permettant au conducteur de régler l’entrure sans quitter les mancherons (Bogue 1963 : 70 ; Bidwell et Falconer 1925 : 284). On sait que les charrues de l’Est, héritées des charrues anglaises, n’avaient pas d’avant-train : les toutes premières breaking-plows furent parfois, semble-t-il, attelées à des roues de charrettes, “a pair of cart wheels” (Primack 1962 : 488).
L’histoire technique de la colonisation européenne en Amérique est souvent une source d’analogies instructives avec ce qui s’est passé plus anciennement en Europe. Plus récents, les faits américains sont mieux documentés, et ils se manifestent aussi sur une échelle plus vaste, à cause des dimensions mêmes du pays, qui en font un miroir grossissant à certains égards par rapport à l’Europe. Peut-on tirer des conditions du développement des breaking plows des informations utiles pour mieux comprendre celles qui ont conduit, en Europe, au développement initial de la charrue ? Avec toutes les réserves auxquelles oblige la prudence, je crois que oui, et qu’en particulier les problèmes spécifiques au défrichement des sols gazonnés entrent dans les analogies possibles.
Un mot encore pour terminer sur ce point. Il n’a été question que de l’avant-train dans tout ce qui précède. Or, il existe deux pièces de la charrue dont l’association avec la présence du gazon est bien plus évidente que celle de l’avant-train : ce sont le coutre, et la variété de soc plat, large et tranchant qui s’oppose aux socs coniques ou prismatiques des araires et de certains types de charrues. Il est très probable que chaque forme de soc est associée à des formes particulières de labour – le labour retourné, le rib-plowing, etc., impliquent évidemment des socs plats et larges, dont la fabrication et l’entretien impliquent sans doute une métallurgie plus avancée que celles des socs coniques. Un détail de vocabulaire me paraît significatif à cet égard. Dans les langues germaniques, où domine le soc tranchant, le mot qui désigne le soc, Schar, share, skär, etc. appartient à une famille de termes qui se rapportent tous à l’action de couper avec un instrument aiguisé. En France au contraire, ainsi que dans les régions celtiques de Grande-Bretagne, le mot soc, par son sens étymologique présumé (groin de porc) est peut-être hérité d’une époque où dominait le soc conique.
L’enfouissement des semis. Le labour en sillons.
Après la préparation du champ en sols gazonnés, il existe un second cas, donc, dans lequel un contrôle précis de la profondeur est nécessaire : c’est lorsqu’il s’agit d’enterrer les semences à la charrue. A cette technique correspondent des termes précis dans le vocabulaire technique paysan : semer dessous ou semer sous raies (il existe un équivalent exact en anglais : sowing under furrow), et on désignait par couvrir, couvrailles, le labour correspondant ; dans quelques régions, le terme de couvrailles équivaut ou même remplace le terme de semailles. Couvrir est un terme technique précis, qui implique toujours, dans le langage paysan, que l’opération soit faite à la charrue ou à l’araire. Lorsqu’au contraire on semait dessus (c’est-à-dire sur le dernier labour), on hersait les semis, on ne les couvrait pas. C’est à Duhamel du Monceau (1762, I : 271-277) que l’on doit la meilleure présentation d’ensemble des deux techniques.
Le problème est, comme précédemment, d’identifier l’ensemble des relations qui unissent l’une et l’autre technique de semis aux autres éléments du réseau agricole. Je voudrais tout d’abord dire quelques mots sur leur répartition géographique, pour compléter ce que j’ai indiqué au début à propos de l’exemple de la herse.
En laissant de côté les régions, peu nombreuses, où les semis étaient enterrés à bras (certains secteurs de Bretagne, semble-t-il), on peut distinguer trois catégories de régions suivant les méthodes qui y étaient utilisées pour enfouir les semis :
- les régions où l’on semait dessous, exclusivement : pays méditerranéens, deux tiers sud et ouest de la France ;
- les régions où l’on semait dessus, exclusivement : Ecosse (A. Fenton, communication personnelle), sans doute Ardenne, peut-être nord de l’Angleterre et certaines régions du nord de l’Allemagne ;
- les régions où l’on semait dessus et dessous : nord et est de la France (sauf l’Ardenne) ; nombreuses régions de Grande-Bretagne (East Anglia et Midlands : Marshall ; Chiltern Hills et Vale of Aylesbury : Ellis ; etc.) ; sans doute aussi nombreuses régions d’Europe centrale : Silésie (Martin Grosser), Hongrie (Fél et Hofer)…
Naturellement, cette énumération est beaucoup trop incomplète pour autoriser, ne serait-ce que l’esquisse d’une cartographie, qu’il faudra pourtant bien entreprendre un jour. Elle suffit cependant pour montrer que l’opposition entre les deux techniques est pertinente pour l’analyse des systèmes de culture. La manière dont on recouvre les semis de céréales n’est pas un simple détail de pratique : c’est un élément déterminant dans la structuration des diverses agricultures régionales européennes.
Remarquons toutefois que les deux techniques coexistaient dans la majeure partie de l’Europe non méditerranéenne. On les employait tantôt simultanément – c’est-à-dire par exemple qu’on semait une partie de la semence dessous, avant le dernier labour, et le reste dessus, pour le recouvrir à la herse -, tantôt concurremment – c’est-à-dire qu’on choisissait tantôt l’un tantôt l’autre procédé, en fonction des circonstances. Quelles étaient ces circonstances ? Voici, à titre d’hypothèse de travail, celles qui apparaissent à l’examen de la littérature agronomique ancienne :
- le sol et les conditions météorologiques : « terres trop fortes, trop remplies de mottes ou de pierres pour permettre le passage de la herse » ; « terres qui déchaussent, et… terreins fort légers, où l’on craint que le vent ne découvre la semence, ou que le soleil ne dessèche les racines des graines qui auraient germé trop près de la superficie » (Duhamel du Monceau 1162, I : 214) ; pour des auteurs aussi éloignés que l’Anglais Marshall (1790, II : 81) et le Provençal Laure (1837 : 514), le semis sous raies est une réponse efficace au risque de sécheresse ;
- les plantes cultivées : le blé, l’orge, étaient plus fréquemment semés sous raies que l’avoine, et les céréales d’hiver plus fréquemment que les céréales de printemps ; l’avoine en particulier, lorsqu’elle était semée sur un labour unique, cas très fréquent, était évidemment enterrée à la herse ;
- la densité et la méthode de la semaille : il semble que le semis dessus exigeait une densité de semis plus grande que le semis dessous ; dans le sud-ouest de la Beauce en 1812 (région de Chateaudun), on mettait 1,20 hl/ha lorsqu’on semait dessous, et presque le double lorsqu’on semait dessus (La statistique agricole de 1814 : 238) ; par ailleurs, certains modes de semis sous raies excluaient le semis à la volée proprement dit, il fallait semer « par petits jets », en suivant on en précédant la charrue, travail souvent réservé aux femmes ou aux enfants (Leclerc-Thouin 1843 : 261) ;
- les forces de travail et le nombre de jours disponibles : le hersage est évidemment beaucoup plus rapide que le labour de couverture ; il permet à la fois d’ensemencer une surface plus grande par travailleur, et de mieux tirer parti du délai toujours limité dont on dispose pour faire les semis dans de bonnes conditions ; ce délai est toujours plus court pour les céréales de printemps ;
- la forme du labour : le hersage des semis n’est possible que sur un labour à plat ou en planches (l’inverse n’est pas vrai) ; lorsqu’au contraire on a labouré en billons ou en sillons (nous allons revenir sur ces deux termes), il est impossible de semer autrement que sous raies.
Tous ces points mériteraient de longs développements, sur le plan quantitatif notamment. C’est toutefois seulement sur le dernier, le labour en sillons, que je voudrais insister davantage. Car sa problématique est très étroitement liée à celle du semis sous raies.
Un mot d’abord sur ces deux termes, sillon et billon. Car les problèmes de terminologie sont grandement compliqués, en France, par les changements de sens qui ont affecté de nombreux mots paysans lorsqu’ils ont été repris dans le langage urbain, qui est aussi celui que parlent la plupart des agronomes. L’exemple rappelé plus haut de la jachère est caractéristique des contresens qui s’établissent de cette façon. Il en est de même du mot sillon, qui est encore couramment employé dans le sens de « raie de labour », quarante ans après que le linguiste J. Jud ait rétabli son véritable sens (Jud 1937 ; voir aussi Haudricourt et Brunhes Delamarre 1955 : 330). Le sillon, en fait, c’est la bande de terrain délimitée par le semeur sur le champ, et dont la largeur correspond à la portée de son jet de semences. C’est l’unité spatiale d’ensemencement. Cette unité peut être tout à fait indépendante du labour – cas des régions du Midi de la France où on labourait à plat, à l’araire, cas aussi du Norfolk au XVIIIe siècle (Marshall 1787, I : 221). Mais elle peut aussi coïncider avec l’unité de labour, la planche ou le billon : dans ce cas, « on n’a pas besoin de ‘sillonner’ (de marquer les sillons). Chaque billon forme un ‘sillon’ dont les limites se voient facilement. » (Gardette 1950, I : C. 48.) C’est précisément dans ce cas, qui semble avoir été très général dans l’ouest et le centre de la France, que l’on parle de labour en sillons. Dans l’Atlas Linguistique de l’Ouest, à la question « billon », la grande majorité des témoins ont répondu par une forme de « seillon » ou de « sillon » (Massignon et Horiot 1971 : C. 156). Le terme « billon », qui désigne la bande de terre en relief formée par un labour, sans référence au semis, semble avoir été beaucoup moins utilisé dans le langage paysan ancien ; on trouve d’ailleurs aussi « binon », et bien d’autres termes encore (voir notamment Simoni-Aurembou 1973 : C. 101, et Taverdet 1975 : C. 274).
C’est désormais du labour en sillons que je vais parler, pour rester fidèle à l’usage paysan, toujours le plus pertinent. C’est une méthode de labour que nous connaissons fort mal, pour plusieurs raisons : l’une est qu’elle a considérablement reculé depuis le début du XIXe siècle, au point d’avoir disparu de la plupart des régions où elle était autrefois la règle ; l’autre est sa complexité, et le fait que la plupart des auteurs n’en parlent que par de brèves allusions, trop vagues et obscures pour être d’un grand secours – voir par exemple la description que donne Marshall, lui pourtant si précis d’habitude, du labour en sillons de six raies dans le Norfolk (1187, I : 220). Heureusement, il y a au moins un auteur qui nous donne des informations relativement détaillées, accompagnées même de schémas, sur les méthodes de labour en usage dans le Maine-et-Loire vers 1840 (Leclerc-Thouin 1843 : 183-193 et 266-269). C’est de son livre que sont tirés les exemples présentés dans les tableaux pages suivantes.
Voir tableaux
Que nous enseignent ces exemples ? La méthode vendéenne est assez simple, bien qu’elle mette en jeu trois instruments différents. Elle se rapproche beaucoup des méthodes méditerranéennes les plus classiques, à cela près que le premier labour est fait à la charrue. Nous pouvons, je crois, la laisser de côté pour ce qui suit. Les autres méthodes sont plus complexes, et pour nous plus intéressantes, car elles aboutissent toutes à ces sillons de quatre raies typiques des agricultures de la majeure partie de l’ouest de la France ; si typiques en fait que l’apparition, entre 1815 et 1830, de sillons de six raies en Normandie, fut considérée comme une innovation remarquable (Lecellier 1836). Si nous essayons d’énumérer tout ce que les procédés de labour en sillons ont en commun, et qui les oppose aux labours à plat ou en planches, nous obtenons, je crois, le tableau suivant.
Labour en sillons |
Labour en planches ou à plat |
Raies inégales en largeur et en profondeur |
Raies toutes identiques (sauf la première et la dernière de chaque planche) |
Tranches de terre se recouvrant partiellement les unes les autres |
Tranches de terre régulièrement juxtaposées |
L’emplacement des billons change obligatoirement à chaque labour |
L’emplacement des planches peut ne pas changer |
Semis toujours sous raies |
Semis dessus ou dessous |
Semences jetées dans les raies au fur et àmesure qu’elles sont ouvertes, ou bien jetées sur le sillon inachevé et couvertes avec la terre réservée à l’emplacement de la raize |
Semis le plus souvent à la volée |
Labours en sillons dans l’Ouest (M.-et-L.). 1. Région de Beaupréau.
Opérations
1. Premier labour, janvier-avril ; à plat, détruit les anciens sillons s’il y a lieu.
2 et 3. Traversages, mai-août ; en billons ; direction perpendiculaire à celle du premier labour.
4. Hersages ; remettent le terrain à plat.
5. Epandage du fumier ; semis à la volée.
6. Couvrailles, en sillons.
Instruments
Charrue dite « vendéenne ».
Arrau à traverser.
Herse.
Arrau à couvrir.
Labours en sillons dans l’Ouest (M.-et-L.). 2. Région de Baugé.
Opérations
1. Décoler.
2. Faire la grosse raie (a) ; faire la petite raie (b).
3 et 4. Semer et couvrir, en achevant les nouveaux sillons.
Instruments
-
Traitoir ou arbalétier.
-
Charrue dite « angevine ».
-
Gruette.
Labours en sillons dans l’Ouest (M.-et-L.). 3. Régions d’Angers et de Segré
Dans cette méthode, tous les labours se font à l’aide de la charrue dite « angevine » (voir tableau précédent).
1. Charruer, en mars-avril. Comprend quatre passages, appelés tailler (1), fendre (2), lever le sillon (3) et parer (4). Les tranches de terre (1) et (2) portent respectivement les noms de taillis et fendis. L’emplacement de l’ancienne raize reste non labouré.
2. Hersage. Réduit la hauteur des billons à environ 15 cm.
3. Refourcher, de la mi-juin à la mi-août. Quatre passages portant les mêmes noms que pour charruer, mais exécutés en refendant au lieu de l’être en adossant, et plus profonds. Il ne reste plus d’espace non labouré.
4. Hersage, comme en 2.
5. Tailler et fendre, fin août début septembre •
6. Hersage.
7. Semis et labour de couverture à deux raies (lever le sillon et parer, comme ci-dessus). La semeuse marche devant la charrue. Il existe aussi une variante, consistant à. faire les quatre derniers passages de charrue au moment des semailles. Le hersage intermédiaire (6) est alors supprimé. L’organisation du travail au moment du semis est alors légèrement différente.
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Pour comprendre les techniques de labour, on le voit, il faut connaître tous les détails opératoires liés à l’ensemencement. Le procédé qui consiste à recouvrir les semences avec de la terre prélevée entre les sillons, par exemple, rappelle un peu la technique des lazy-beds (Fenton 1976 : 8), surtout si on tient compte du fait qu’en Bretagne, ce travail s’exécutait parfois à la main (La statistique… : 250). Quant à l’outillage, il est à peine besoin d’ajouter que la structure et les dimensions des araires et charrues utilisées pour labourer en sillons sont très strictement déterminées par les conditions de ce type de labour. L’avant-train joue un rôle essentiel, pour assurer le contrôle précis d’une largeur et d’une profondeur de travail qui doivent varier constamment. Souvent, par exemple, l’écartement des roues est réglable, pour qu’on puisse l’adapter à la largeur exacte des sillons. La forme du soc, en général conique – une opinion courante était que les socs plats étaient impropres au labour en sillons, sans qu’il soit possible encore de comprendre pour quelles raisons -, les dimensions et l’orientation du versoir ou des oreilles, etc., sont aussi des facteurs essentiels. Mais je voudrais mentionner deux derniers points pour terminer sur cette question.
1. Il faut se garder de confondre sillons, planches et ados. Le labour en planches n’est que la forme de labour à plat obtenue avec une charrue à versoir fixe, et il est donc inutile d’y insister. Ce qui oppose les sillons aux « ados » (terme certainement impropre, mais que nous utilisons faute de mieux), c’est que les sillons ne sont jamais fixes, ils changent de place à chaque labour ; les ados au contraire sont fixes (les ridges de certaines régions des Iles britanniques), et certains occupent la même place depuis des siècles. Ils sont aussi bien plus larges et plus hauts que les sillons. La littérature écossaise du XIXe siècle donne d’abondants détails sur la destruction des ados, souvent courbes (les fameux “crooked ridges”) qui dominaient le paysage au XVIIIe siècle, et leur remplacement par des billons (Home 1802 : 75). Dans les terroirs abandonnés par la suite, les nouvelles formes de labour ont laissé des traces bien différentes des anciennes (Parry 1976).
2. L’égouttement des terres est l’explication la plus souvent donnée pour le labour en sillons. Mais elle n’est certainement ni la seule, ni même peut-être la plus importante ; ce n’est pas elle, en particulier, qui peut permettre de comprendre pourquoi on labourait en sillons, plutôt qu’en planches bombées ou en ados, qui sont des solutions équivalentes vis-à-vis de l’excès d’eau. D’autre part, on labourait en sillons aussi bien dans des régions sèches comme la Plaine du Poitou, que dans des régions réellement humides (Cavoleau 1844 : 551). Deux autres facteurs sont peut-être d’une importance plus déterminante :
- les mauvaises herbes, que le labour en sillons permettrait de combattre plus efficacement (Leclerc-Thouin 1843 : 185) ; la disposition du champ en sillons séparés par des raizes plus ou moins larges est aussi à rapprocher du grand nombre des façons d’entretien donnés dans l’ouest de la France aux blés d’hiver, sarclages, râtelages, etc. (Trémaudan 1888, Guitton 1880 : 95-97).
- la faible fertilité du sol : dans les sols pauvres et peu profonds, le labour en sillons était probablement la méthode la plus économique en travail et en semences ; labourer à plat ou en planches augmentait les frais, sans augmenter le produit (Sageret 1808 : 125-127 ; Young 1797 : 33).
S’il fallait à tout prix proposer une « explication » du labour en sillons, c’est à coup sûr cette dernière que nous préférerions. Mais est-ce bien ainsi que le problème se pose ? En fait, compte tenu de l’extension considérable du labour en sillons dans toute l’Europe occidentale non méditerranéenne avant la Révolution industrielle, n’est-ce pas plutôt le labour à plat qu’il faudrait « expliquer » ? Or précisément, il existe peut-être une explication pour le labour à plat, et pour le hersage des semis qui lui est associé : c’est la culture de l’avoine de printemps. Car de l’Ecosse à la Beauce, l’avoine de printemps est à de rares exceptions près (le sarrasin parfois, le seigle en Ardenne) la seule céréale régulièrement semée sur labour unique. Et ceci que ce soit sur les chaumes d’une céréale précédente, ou sur défriche d’un vieil herbage. Or, sur labour unique, il n’y a évidemment pas d’autre moyen que la herse pour enterrer les semences – en laissant de côté les procécés manuels, tels que les lazy-beds.
Et nous voici peut-être, après un long détour (What an endless labyrinth is husbandry! : Marshall 1790, II : 39) en vue d’une solution au problème que nous nous posions au début, celui de l’usage ou du non- usage de la herse pour enfouir les semis. Ne serait-ce pas à la culture de l’avoine qu’il faut rapporter l’introduction de cet usage, et le fait qu’il n’ait pas dépassé, vers le sud et l’ouest de la France, des limites qui sont aussi, approximativement, celles de la culture de l’avoine de printemps ?
Naturellement, il faudra de longues recherches pour valider ce qui n’est pour l’instant qu’une hypothèse de travail. Mais d’ores et déjà, cette hypothèse en entraîne une seconde. Car en France, la limite entre l’utilisation du cheval et celle du bœuf comme animaux de trait en agriculture n’est pas très différente de la limite entre le hersage et le non-hersage des semis. On sait combien la littérature ancienne est abondante – et indécise – sur ce vieux problème des avantages réciproques du cheval et du bœuf en agriculture. Or, le seul avantage réel, la seule supériorité effective du cheval sur le bœuf, c’est sa vitesse. Et il n’y a que deux fonctions où la vitesse supérieure du cheval soit mise à profit : le hersage, et les transports attelés sur route carrossable. « Le cheval est supérieur au bœuf dans la conduite de la herse lorsque cet instrument est utilisé pour diviser les mottes. Celles-ci, en général, ne sont divisées ou anéanties que par le choc des dents. Or, plus la herse est traînée vite, plus ce choc est efficace. » (Heuzé 1889, I : 201) On a hersé au trot dans le Norfolk et en Bretagne (Marshall 1787, I : 144 ; Agriculture française… 128).
On peut donc penser que le cheval a été utilisé pour les hersages et les charrois un certain temps avant de l’être pour les labours, et que c’est le souci d’économie qui a conduit peu à peu à ne garder que des chevaux pour faire tous les travaux. Or, l’iconographie médiévale, où l’on voit parfois des chevaux attelés à la herse à côté de bœufs attelés à la charrue, nous donne la possibilité de vérifier le premier point. Quant au second, il est remarquablement illustré par le texte suivant, tiré du rapport de James Anderson sur l’Aberdeenshire en 1794 (p. 76 ; mais voir aussi pp. 77 et 78) :
Attelages. Toutes les charrues de l’Aberdeenshire, encore récemment, étaient tirées par des bœufs. L’attelage ordinaire était de huit, dix ou douze bœufs attelés par paires (…), et si l’on considère en outre que pour chaque charrue à bœufs utilisée, il fallait nécessairement avoir des chevaux pour conduire le fumier etc. aux champs en charrettes, – pour porter le grain au marché, – et pour les hersages, le gaspillage total qui s’ensuivait apparaîtra énorme.
Conclusion.
Tous ces exemples auront suffi à montrer, je l’espère, ce qu’il faut entendre lorsqu’on dit qu’une agriculture est un réseau. « Expliquer » un élément de ce réseau, un outil ou une machine, c’est expliciter toutes les relations qui associent cet outil, cette machine, aux autres éléments du réseau. C’est seulement ensuite que le comparatisme géographique et historique doit intervenir pour nous aider à comprendre quels sont les plus importants de ces éléments et de ces relations, quels sont ceux qui jouent ou ont joué un rôle décisif dans la structuration et l’individualisation des différentes agricultures locales. Dans ce jeu d’interrelations entrent des facteurs physiques aussi bien qu’économiques et culturels, des facteurs permanents et temporaires, des facteurs encore actuels et d’autres qui appartiennent au passé, etc. Tous ces facteurs ne sont pas d’égale importance, c’est évident. Mais cette importance, il ne faut surtout pas l’évaluer apriori : seule une recherche historique complète peut permettre de le faire sans risques d’erreurs excessifs. C’est ainsi, par exemple, qu’on a autrefois trop exclusivement privilégié les objets, parce qu’ils sont plus facilement visibles que d’autres facteurs, et parce qu’on est donc naturellement tenté d’exagérer leur importance. Il est clair aujourd ‘hui que les objets sont à peu près, pour l’historien et l’ethnologue, ce que sont les os ou ls coquilles fossiles pour le paléontologiste. Ni plus, ni moins. L’étude des objets est une voie d’accès parmi d’autres à la compréhension des systèmes de culture (et des systèmes sociaux dont ils font partie). Voie nécessaire, mais pas suffisante, et qui a ses limitations propres : comme je crois l’avoir montré avec l’exemple de la herse, il y a des choses que l’objet seul ne dit pas, quel que soit le raffinement des techniques employées pour le faire parler.
Parmi ces autres voies d’accès, il y a par exemple l’étude du travail et des relations sociales dans le travail ; celle de la production et de la productivité, qui implique le passage au quantitatif ; celle des relations sociales dans la production, contrôle des moyens de production et partage des résultats, etc. Toutes ces voies sont bien connues. Je voudrais en ajouter une autre qui me semble à la fois particulièrement importante et particulièrement négligée : c’est l’étude des savoirs paysans. Tout indique qu’il existe une pensée paysanne autonome, qui ne ressemble en rien au savoir scientifique moderne, mais qui a sa valeur, son efficacité propres. Cette pensée travaille avec des notions qui lui appartiennent en propre, comme par exemple la notion de jachère, si étrangement incomprise en dehors du monde paysan. Il est probable qu’elle suit également des processus logiques qui lui sont propres. Ce serait la tâche d’une anthropologie de la connaissance que de restituer cette pensée cognitive et technique des paysans.
En dépit d’une nécessaire spécialisation, il est clair que chaque chercheur est amené à travailler plus ou moins dans chacune de ces différentes voies d’accès à une compréhension globale des agricultures d’hier et d’aujourd’hui. Chaque chercheur est donc amené, tôt ou tard, à s’intéresser à des objets, c’est-à-dire à fréquenter les musées où ces objets sont conservés. Plus ou moins régulièrement ou au contraire plus ou moins exceptionnellement, chaque chercheur est un usager des musées, et cela nous ramène à notre premier propos, celui de la relation entre le chercheur-usager et le musée.
Je vais tout de suite, sur cette question, donner sans ambages le point de vue du chercheur-usager que je suis. Point de vue personnel et subjectif, je l’admets volontiers. Pour moi, un musée est un lieu et un outil de travail ; c’est, ou plutôt ce devrait être, une bibliothèque d’objets. Je voudrais y trouver une salle de travail, l’équivalent de la salle de lecture des bibliothèques, où il me serait possible de « consulter », c’est-à-dire d’examiner, de mesurer, de peser, de dessiner les objets qui m’y seraient communiqués sur ma demande. J’ajouterai même que ce point de vue est aussi une revendication professionnelle, en quelque sorte. Car non seulement les musées ne sont pas convenablement équipés pour accueillir les chercheurs de passage et leur permettre de travailler (pas en France, en tous cas), mais de plus, tous les objets qui se trouvent inclus dans une exposition, lorsqu’ils sont sous vitrine notamment, sont inaccessibles pour moi et leur étude m’est impossible.
Cette opinion pourra paraître à contre-courant de toute la tendance actuelle vers des musées de plus en plus « vivants », donnant une image de plus en plus fidèle et complète de la vie sociale dans toute sa complexité. Je crois que la contradiction n’est qu’apparente. Elle disparaît si on prend en compte l’ensemble des fonctions du musée, l’ordre de priorité dans lequel elles doivent être remplies, la diversité des publics auxquels s’adresse le musée, etc. C’est ce que je vais essayer de montrer rapidement.
Les fonctions du musée sont, me semble-t-il, au nombre de cinq : collecter (acquérir) les objets, les conserver (c’est-à-dire les restaurer, les classer, les protéger…), les communiquer pour étude (aux chercheurs, aux étudiants), les montrer (expositions pour le grand public), et les utiliser à des fins de reconstitution technique. L’ordre dans lequel j’ai énuméré ces cinq fonctions est un ordre de priorité décroissante. Pour les deux premières, en tous cas, je ne crois pas qu’il soit possible de contester qu’elles soient absolument prioritaires : un musée qui ne collecterait pas d’objets, ou qui laisserait perdre ou se détériorer les objets qu’il a collectés, ne mériterait évidemment pas son nom. La seule remarque qu’il me semble falloir ajouter ici est que la collecte doit évidemment porter en priorité sur les objets dont le risque de disparition est le plus grand – ce ne sont pas toujours les plus anciens, les plus prestigieux ni les plus rares.
Quant à la fonction de reconstitution technique, si je l’ai mise en dernier, c’est uniquement parce qu’elle me paraît la plus difficile et la plus coûteuse à mettre en œuvre. En général, utiliser des outils et instruments anciens à des fins de reconstitution technique suppose d’abord la fabrication de répliques, c’est-à-dire le recours à des artisans spécialisés. S’agissant d’agriculture, il faut ensuite remplir plusieurs conditions spécifiques, et spécifiquement coûteuses : il faut disposer de surfaces non négligeables pendant plusieurs années ; il faut acquérir des animaux, les entretenir et les dresser ; il faut avoir ou disposer de variétés anciennes de plantes cultivées, etc. Les expérimentateurs doivent eux-mêmes pouvoir s’entraîner assez longtemps pour acquérir le degré minimum d’habileté sans lequel l’expérimentation n’a pas de sens, et il faut bien les rémunérer pendant cet entraînement. Il est clair que tout cela est compliqué et coûteux, sauf dans le cas des techniques les plus récentes, pour lesquelles il est encore possible de trouver des professionnels qui les ont pratiquées. Sauf dans ce cas précis, par conséquent, la reconstitution technique restera sans doute toujours l’apanage des musées les plus importants, qui seuls auront les moyens de s’y lancer. Le problème n’est pas différent, me semble-t-il, qu’il s’agisse de reconstitution à des fins pédagogiques ou expérimentales.
Restent les troisième et quatrième fonctions, communiquer et montrer. C’est entre elles, et entre elles seulement, que gît la contradiction signalée plus haut. Il est clair que dans la plupart des musées actuels, seule la quatrième fonction a été explicitement prise en compte. On cherche avec plus ou moins de bonheur à satisfaire les besoins du grand public, dans la mesure du moins ou l’on suppose que ces besoins se ramènent à un seul, celui de voir. La notion d’exposition découle nécessairement de cette conception. Il s’agit de montrer des objets, généralement arrangés d’une façon jugée aussi significative que possible, à des personnes qui circulent plus ou moins rapidement devant eux, et qui en tous cas ne sont pas supposées rester assez longtemps en un point donné de l’exposition pour éprouver le besoin de s’y asseoir. (Il est significatif que dans la plupart des musées, les sièges de repos soient toujours disposés là où il n’y a rien à voir.)
Je n’ai aucune compétence pour dire si cette conception répond vraiment à l’attente du grand public. Tous ce que je puis dire, c’est qu’elle ne répond pas à la mienne. Et cela pour deux raisons fondamentales, l’une matérielle, l’autre plus théorique. J’ai déjà évoqué la raison matérielle : un objet qui figure dans une exposition, surtout s’il est sous vitrine, est temporairement perdu pour la recherche. Car il est clair que voir l’objet ne suffit pas. Pour le connaître vraiment, il faut, soit apprendre à l’utiliser ou à le fabriquer, soit au moins l’étudier. J’ai dit plus haut les difficultés qu’il fallait surmonter pour utiliser les objets à des fins de reconstitution technique. Je n’y reviens donc pas. Mais plus ces difficultés sont grandes, et plus il est nécessaire de pouvoir étudier les objets. Je ne parle pas ici des examens de laboratoire, mais du minimum d’opérations simples que tout le monde peut pratiquer, et qui peuvent l’être sans danger pour la plupart des objets non spécialement fragiles : les prendre en main, les mesurer, les peser surtout, les dessiner, etc. Tous les botanistes savent qu’on ne connaît vraiment une plante que quand on l’a dessinée. Il en est de même d’un outil, ou de n’importe quel objet. L’étude de l’objet, au sens où je l’entends ici, a une valeur pédagogique et scientifique irremplaçable. Pour reprendre ma comparaison avec les biblio- thèques, je dirai que l’objet de musée est fait pour être étudié, comme le livre de bibliothèque est fait pour être lu. Les plus grandes bibliothèques sont d’ailleurs des espèces de musées du livre, en quelque sorte, et on y organise même souvent des expositions de livres et autres documents, ouvertes au grand public. Mais jamais ces expositions ne sont conçues au détriment de la fonction principale de la bibliothèque, qui est d’accueillir les lecteurs. Dans les musées au contraire, tout est prévu pour le public, rien n’est prévu pour ceux qui veulent « lire » les objets.
La seconde raison, plus théorique, pour laquelle les expositions me paraissent toujours un peu décevantes, c’est qu’elles ont un thème. Il ne peut certes pas en aller autrement, et il est même souhaitable que ce thème soit aussi clairement explicité que possible. Mais qu’il le soit ou non, il est impossible que le thème d’une exposition n’influe pas sur la signification des objets qui y figurent. Et cela limite ma liberté de recherche. Devant un objet isolé, ou devant une collection d’objets rassemblés au hasard, je suis entièrement libre de diriger mes réflexions comme je l’entends. Je ne le suis plus autant lorsqu’on choisit de mettre en avant certaines significations particulières de cet objet, parce qu’il est inclus dans une exposition sur un certain thème. Et je dois dire que cet amoindrissement de liberté, je le ressens vraiment comme une gêne et un ennui. Aucune exposition, si réussie soit-elle, ne m’a jamais donné autant de plaisir que celui d’être admis dans les réserves d’un musée. Et plus ces réserves sont en désordre, plus mon plaisir est grand !
Qu’on m’entende bien. Je ne propose, ni de supprimer les expositions, ni d’ouvrir purement et simplement les réserves au public. Je demande seulement qu’on cesse d’oublier cette partie du public qui ne se satisfait pas de regarder docilement ce qu’on lui montre. Parlons à son propos, pour simplifier, de public « actif », par opposition au public « passif » des visiteurs ordinaires. La tendance actuelle à faire des musées aussi vivants que possible s’adresse plus ou moins explicitement à ce public « passif », qu’elle cherche à tirer de sa passivité (réelle ou supposée). L’intention est louable. Mais je crains que les dispositions prises n’aient souvent un résultat contraire à celui qui est recherché. La passivité, c’est le refus de l’effort. Or, il n’y a rien qui incite tant au refus de l’effort que de trop faciliter la besogne. Je ne conteste pas qu’il faille animer les musées pour attirer et intéresser le public. Mais plus on en fera dans ce sens, je le crains, et plus on courra le risque d’enfermer un peu plus les visiteurs passifs dans leur passivité. D’un musée trop parfait, il n’est pas dit qu’ils ne sortiront pas blasés, leur curiosité éteinte avant d’avoir été éveillée. Il y a en cette matière un équilibre difficile à trouver.
Je n’irai pas plus loin dans cette discussion, car je n’ai aucune compétence pour cela. Mon propos est autre. Il est, je le répète, de dire qu’on oublie trop ce public « actif » dont je crois faire partie, celui qui va dans les musées non pas pour regarder les expositions, mais pour étudier les objets. Ces visiteurs-chercheurs, encore une fois, rien n’est prévu en général pour les accueillir et leur permettre de travailler dans de bonnes conditions. Ils sont trop peu nombreux pour que cela en vaille la peine, objectera-t-on peut-être. Je crois précisément qu’ils seraient plus nombreux si leur accueil était prévu.
Une anecdote significative, je crois, pour terminer. J’ai longtemps pensé que la conception « passive » des expositions dans les musées ethnographiques et technologiques avait son origine dans la prépondérance des musées des beaux-arts. La galerie de tableaux me paraissait le prototype même de l’exposition organisée uniquement en fonction d’une passivité rigoureuse des visiteurs. Je me trompais. Car même dans les musées de beaux-arts, cette conception passive n’existait pas à l’origine. Le dix-sept octobre 1792, Roland, ministre de l’Intérieur du gouvernement révolutionnaire, écrivait ce qui suit au peintre David :
Il est question de faire un Museum aux galeries du Louvre : il est décrété ; et, comme ministre de l’intérieur, j’en suis l’ordonnateur et le surveillant (…) Ce Museum doit être le développement des grandes richesses que possède la nation en dessins, peintures, sculptures et autres monuments de l’art (…) ; il doit nourrir le goût des beaux-arts, recréer les amateurs et servir d’école aux artistes. Il doit être ouvert à tout le monde, et chacun doit pouvoir placer son chevalet devant tel tableau, ou telle statue, les dessiner, peindre ou modeler à son gré. Ce monument sera national, et il ne sera pas un individu qui n’ait droit d’en jouir…
Ainsi, Roland reconnaissait aux artistes un droit spécial, celui de venir travailler dans le futur Musée du Louvre. Et c’est bien ainsi que les choses se passèrent dans la pratique. Sur les dix jours de la décade républicaine (substituée à la semaine grégorienne), le Museum de la République ouvrait ses portes trois jours pour le public et cinq pour les artistes ; il restait fermé deux jours pour l’entretien et pour les travaux des commissaires. G. Bazin, à qui nous devons ces détails, ajoute :
Les artistes prenaient donc le musée sept jours sur dix ; c’est pour eux qu’il avait été fait (…) Dès le début, les copistes affluent ; il faudra limiter leur nombre à cent et la durée de l’autorisation à six mois… (Bazin 1967 : 171.)
Pour les Révolutionnaires, en d’autres termes, il était inconcevable qu’un musée ne soit pas d’abord un lieu de travail. Qu’on l’ouvre aussi aux simples visiteurs, certes, mais à condition de ne pas empiéter sur les droits de ceux qui viennent y travailler. Cette grande leçon révolutionnaire me paraît bien oubliée aujourd’hui. C’est dommage. Tout ce que je veux dire se résume en ceci : responsables des musées, prenez garde d’en faire trop pour le grand public, et de cultiver ainsi sa passivité ; n’oubliez pas, par contre, ceux qui voudraient venir chez vous avant tout pour travailler sur les objets que vous conservez.
Paris, août-novembre 1978
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Agricultural Museum Congress Meets in East Germany2
The Fifth International Association of Agricultural Museums met in Neubrandenburg in East Germany, September 10 to 15, 1978. The theme of the congress was “Agricultural Development in the 19th and 20th Centuries and its Presentation in Museums”.
In the five plenary sessions the attending museum and university people heard about the contributions of the agricultural reformer, Albrecht Thaer, change in village life in the G.D.R. since 1945, the functions of agricultural-historical museums today, sociological approaches to the study of village life and the distinction between use and function in analyzing agricultural equipment. In addition, three sets of concurrent sessions took place organized on the themes of “Agrarian Museology”, “Culture and Lifestyle in the Village” and “Agricultural Technology and its Social-economic and Cultural Impacts”. Field trips to two new museums and a modern collective farm were designed to give even more substance to the theme.
Three Americans attended, John Schlebecker, Curator of Agriculture and Mining in the Museum of History of Technology, Smithsonian Institution, in Washington, D. C. ; Edward L. Hawes, Director of the Clayville Rural Life Center and Museum near Springfield, Illinois ; and Professor Gareth Schellman, Professor of History at the University of North Carolina.
Many West and East Germans took part, along with other association members from France, Britain, Sweden, Japan, India and additional countries. Hawes presented a paper on “Living History Museum Planning and Evaluation” in one of the section sessions. He considered three outdoor museums located in the Midwest, Clayville. Conner Prairie, near Indianapolis, and Living History Farms near Des Moines, as examples of what has been done, what should be done, and what should not be done in developing living history museums.
At the business meeting of the International Association on Friday, September 15, Hawes was elected one of three vice-presidents of the organization for the next three years. As such he will serve on the ten member presidium which sets policy and organizes the triennial conferences. Elected president was Sune Zachrissen, the Director of the Nordiska Museet in Stockholm. The tradition of the organization is that the president is from the country which will host the next gathering. In 1981, the Association will meet at Julita, a new operating farm museum near Stockholm.
In his paper, Hawes set forth what living history museums, especially those in the Midwest, should communicate about historical realities, and then outlined what questions should be considered in planning and development. These fall into six areas: museum identity, the “givens” the museum must work with, the modes of living history interpretation to be chosen, the development of research and collections, fund raising and support generation, and finally, operations and staffing.
There were field trips to two museums. The first was the Museum of Ait-Schwerin in the north-eastern part of East Germany, a combination open air and indoor museum complex with buildings scattered throughout a functioning village. Exhibits focused on the achievements of socialist agriculture and education and the contrasts with life before1945. A school furnished as one in the 1890s and a modern school built in the 1960s, the latter, now because of consolidation converted to a supermarket and a museum of education, form part of the “collection”. So do laborers’ cottages of the late 18th century. 1900 and 1960 and a peasant house built after the land reform of 1945 and set with irony enough on the edge of the mansion-farmstead of the one-time estate owner. Perhaps the most memorable part of the museum complex was that 1960 cottage with all the actual furniture, dishes, clothing, child’s toys, etc., of a family which agreed to have its possessions “museumed” and be compensated for them.
The other museum is located in the outer suburbs of Berlin in Wandlitz. Named the Museum of Agrarian Productive Forces, it seeks to show the importance of people in farming and to go beyond the usual local museum of agriculture with equipment neatly lined up in rows. It does this by means of exhibit islands with contemporary posters, newspapers, photographs, and artifacts from every-day life in the period 1945 to 1960.
“Upon reflection, it is clear that the organizers of the conference, succeeded in developing a program which nicely integrated research in agrarian history, museum history and practice with actual examples of application”, said Hawes. The organizers were Dr. Wolfgang Jacobeit, Director of the Museum of Ethnology in East Berlin and Dr. Klaus Schreiner, Director of the Museum of Alt-Schwerin. “The local arrangements were excellent. Our hosts, the East Germans, did a superb job”, declared Hawes.
Those wishing further information about the International Association of Agricultural Museums should write to Sune Zachrissen, Director, Nordiska Museet, Stockholm. Sweden.
This report was prepared by Dr. Edward L. Hawes, Clayville Museum and Sangamon State University, Springfield, Illinois.
1 Le 5e congrès international des musées d’agriculture (CIMA 5) s’est tenu à Neubrandenburg (Allemagne de l’Est) du 10 au 15 septembre 1978. Le thème du congrès était « Le développement agricole au 19e et au 20e siècle et sa représentation dans les musées ». (Selon le rapport du Dr Edward L. Hawes, Springfield, Illinois (cf. fin de ce document).
2 From the American Studies Association Newsletter, September 1978 – reprod. by the Newsletter of the ICOM Committee of the American Association of Museums (vol. 5, N°4, fall 1978).