In José Muchnik (dir.), Alimentation, techniques et innovations dans les régions tropicales, Paris, L’Harmattan, pp. 3151 (version française de l’article « I pani possibili », 1992). [Tiré à part]
Le pain, histoire alimentaire, histoire technique
François Sigaut, EHESS Paris
Dans le Grand Désert de l'Australie centrale, un matin au début des années 60, un petit groupe de femmes et d'enfants suivis par la caméra de Ian Dunlop quitte l'endroit où ils ont passé la nuit pour aller à la recherche de leur pain quotidien. De leur pain ? En effet. Ce n'est pas une métaphore. Bien sûr, ces femmes et ces enfants récolteront toutes sortes de choses, y compris des petits animaux, des lézards par exemple. Mais arrivées à l'endroit où pousse en grand nombre une certaine graminée, la femme et ses filles les plus âgées vont passer une grande partie de la journée à en érusser les graines dans un récipient oblong en écorce. De retour au campement, la femme va broyer ces graines sur une meule de pierre. Elle en sépare les balles à l'aide du vent ou en soufflant dessus. Puis elle pétrit la farine avec un peu d'eau prise à une source voisine, et elle met la pâte à cuire sous les braises. Elle en retirera un pain qui, au juger, ne pèse peut-être pas beaucoup plus d'une livre. Mais ce résultat du travail de toute une journée est bien du pain, quoique non fermenté et non levé. Et contrairement aux autres produits de la cueillette du jour, qui sont souvent consommés directement par ceux qui les ont récoltés, ce pain va être partagé suivant des règles précises. Le chef de famille, qui a passé la journée de son côté à chasser, à fabriquer des outils, etc., aura droit à la première part. Telle était, jusque vers 1960, la vie quotidienne de la dernière famille libre d'Aborigènes du Grand Désert australien : Desert People.
L'histoire du pain est pleine de paradoxes. Voilà des Aborigènes australiens, longtemps considérés comme les représentants les plus primitifs de notre humanité, qui mangent du pain. Et voici les anciens Romains qui, aux dires de Pline (Hist. Nat., livre XVIII, 19) vivaient de bouillie et non de pain : "pulte autem, non pane, vixisse longo tempore Romanos manifestum...". Mais cela signifie-t-il que les anciens Romains ignoraient le pain ? Méfions-nous. Car le même auteur écrit, un peu plus loin (ibid., 28) qu'ils faisaient leur pain eux-mêmes, ou plus exactement leurs femmes : "Ipsi panem faciebant Quirites, mulierumque id opus maxime erat, sicut etiam nunc in plurimis gentium." Je reviendrai sur ce détail qui, en réalité, n'en est pas un. Ce qui importe pour l'instant est de nous mettre sur nos gardes. L'histoire du pain n'est pas simple. Elle n'est pas simple parce que le pain n'est qu'un aliment parmi cent autres qui ont chacun leur histoire, et que si toutes ces histoires doivent être distinguées elles ne peuvent être dissociées, car c'est le jeu des substitutions entre tous ces aliments qui est notre fil conducteur. Elle ne l'est pas parce que le mot "pain" lui-même recouvre des réalités diverses, sur lesquelles il n'y a pas de véritable commun accord d'un pays ou d'une époque à l'autre. L'histoire du pain enfin n'est pas simple, parce qu'elle touche à tous les niveaux de la vie sociale. Comme aliment de tous les jours, le pain fait partie de ces choses trop banales ou trop évidentes pour qu'il vaille la peine d'en parler, et c'est alors le silence de ses sources habituelles qui arrête l'historien. Mais le pain entre aussi dans des pratiques festives, cérémonielles ou religieuses, et c'est alors la multiplication des possibilités d'interprétation symbolique qui l’embarrasse. Non vraiment, l'histoire du pain n'est pas simple.
Bien entendu, nous n'allons pas en rester à cette constatation un peu déprimante. Car les difficultés sont faites pour être surmontées, et celles-ci sont en voie de l'être. Il n'est pas encore possible aujourd'hui, me semble-t-il, d'écrire une histoire du pain exhaustive. Mais il est possible de planter quelques jalons, les uns pour baliser le territoire déjà connu, les autres pour indiquer les pistes à suivre. C'est ce que je vais essayer de faire, en suivant un itinéraire en cinq parties :
– A quoi sert le pain? la place du pain dans l'alimentation ;
– De quoi fait-on le pain? le pain et les végétaux alimentaires ;
– Comment fait-on le pain? techniques de fabrication et lignées de produits céréaliers ;
– Avec quoi fait-on le pain? l'outillage, les équipements et les machines ;
– Qui fait le pain? de l'épouse au boulanger...
A QUOI SERT LE PAIN?
A quelques exceptions près, sur lesquelles je reviendrai, tous les peuples de la terre composent leurs repas ordinaires de la même façon : un aliment de base, qui apporte l'essentiel de ce qui est considéré comme "nourriture" proprement dite, et un accompagnement fait d'ingrédients variés (viande, poisson, laitage, légumes, condiments...) destiné à donner du goût, à "faire passer" l'aliment de base, souvent assez fade. Il n'est pas rare que cet accompagnement porte un nom spécifique ; tels sont "pulmentum" en latin classique, "companaticum" en latin médiéval, "relish" dans l'anglais parlé aujourd'hui en Inde, "sauce" dans le français parlé en Afrique noire, etc. Pour donner une idée concrète de ce que donne cette formule "nourriture + sauce" lorsqu'elle est appliquée dans la pratique, il suffit de citer, par exemple, les spaghetti à la bolognaise. Historiquement parlant, ce plat n'est sans doute pas très ancien. Mais il a l'avantage d'être connu à peu près partout dans le monde aujourd'hui. Un féculent pour nourriture, dont la nature pour l'instant nous importe peu, et une sauce pour faire passer le féculent, voilà quelle a été la structure des repas pour les neuf dixièmes de l'humanité depuis des milliers d'années.
Les biochimistes nous ont appris au cours de ce siècle que le féculent apporte l'essentiel des calories, mais qu'il lui manque souvent une partie des acides aminés, des vitamines et des sels minéraux nécessaires au corps humain. Dans une population où il ne se manifeste pas de maladies de carence (scorbut, rachitisme, béribéri, pellagre...), c'est en général la sauce qui comble le déficit. Mais pour les consommateurs d'autrefois, et aujourd'hui encore pour ceux de nombreuses sociétés du Tiers-Monde, ces considérations scientifiques n'interviennent évidemment pas. Ce sont des sensations plus directes qui les guident. Le féculent est "nourriture" parce qu'il remplit le ventre, parce qu'il tient au corps, c'est lui qui donne la force nécessaire pour travailler de longues journées à l'atelier ou aux champs. La sauce est agrément, utile certes pour faire passer un féculent qui mérite parfois le qualificatif d'''étouffe-chrétien" qu'on lui donne en français, mais dont on peut se passer, au moins quelque temps ; les pauvres, d'ailleurs, s'en passent souvent, ce qui bien sûr en fait les victimes toutes désignées des maladies de carence. C'est la faim qu'on redoute le plus, pour elle-même et parce qu'elle ôte la force de travailler. Et c'est le manque de nourriture, pas de sauce, qui fait souffrir de la faim.
Voilà ce qu'est la "nourriture" au sens le plus exact du terme. En ce sens, le pain a été la nourriture de nos ancêtres pendant une grande partie de l'histoire européenne. Mais il ne l'a été ni toujours, ni partout, ni surtout pour tous, et il a rarement été la seule. De plus, le pain n'est évidemment plus notre "nourriture" aujourd'hui, dans une alimentation où la majeure partie des calories est désormais fournie par les produits animaux, les corps gras et les sucres. Historiquement, un tel régime est tout à fait exceptionnel, et je ne lui vois pas d'autre précédent que celui des peuples chasseurs de l'Arctique et des grandes plaines américaines avant la conquête européenne, peuples dont l'effectif a toujours été insignifiant devant celui des habitants sédentaires des régions plus tempérées. Pour nous, qui n'avons pas le mode de vie des chasseurs arctiques, il n'est pas sûr qu'un tel régime puisse durer indéfiniment. Il est extrêmement coûteux car, on le sait, il faut au moins sept calories végétales pour produire une calorie animale. Il présente pour la santé des dangers qui se précisent de jour en jour (obésité, diabète, maladies cardiaques...). En fait, un certain retournement de tendance semble s'opérer depuis quelques années ; moins au profit du pain, à vrai dire, qu'à celui de divers produits céréaliers, les uns appréciés pour leur nouveauté (les "breakfast cereals" par exemple), les autres pour leur image traditionnelle. Mais un véritable retour aux habitudes anciennes n'est pas vraisemblable. On consomme aujourd'hui en France moins de 150 g de pain par tête et par jour. Ce n'est pas de sitôt qu'on reviendra aux deux ou trois livres qui étaient la norme vers 1800. C'est bien la fin, sinon de l'histoire du pain, du moins de son histoire comme "nourriture".
Cette histoire, naturellement, a de nombreux chapitres qui sont loin d'être aussi clairs que le dernier. Le pain est fort ancien au Proche-Orient, cela ne fait pas de doute ; les nombreuses allusions qu'y fait la Bible, l'iconographie égyptienne, etc., suffiraient à l'attester. Mais de quelles sortes de pain s'agissait-il ? Comment exactement les fabriquait-on ? Et quelle place exacte occupaient-elles ? Autant de questions auxquelles il n'est pas facile, encore aujourd'hui, d'obtenir des réponses précises. Le Proche-Orient est trop divers, son histoire ancienne est trop longue et trop complexe, pour qu'il soit possible de se contenter de généralités. La situation de la Grèce et de l'Italie antiques n'est qu'en apparence plus claire. Le pain existe certes, mais il est en concurrence avec d'autres produits céréaliers qui ne sont pas tous identifiables en toute certitude (la "maza" d'orge des Grecs par exemple), et nous ne savons pas grand-chose, ni de la hiérarchie de ces produits dans l'alimentation, ni de la géographie des habitudes alimentaires. Quand, finalement, et au terme de quel processus le pain levé et cuit au four a-t-il acquis ce statut de nourriture par excellence qu'il a au Moyen Age, je ne suis pas sûr que nous puissions le dire avec précision.
Il ne faut pas oublier, du reste, que cette histoire est aussi une géographie, celle des habitudes de consommation des différents peuples. Pline et Tacite nous décrivent les Germains se nourrissant de bouillie d'avoine : peut-on assimiler celle-ci au "porridge" des Iles britanniques, et y a-t-il continuité de tradition entre les deux ? Il y a aussi la géographie ancienne du millet et du panis, sur laquelle nous n'avons que de rares lueurs avant que le maïs et la pomme de terre ne viennent l'effacer. Il y a encore le recul de l'épeautre devant le froment et le seigle dans le nord de la Gaule et l'ouest de l'Allemagne à l'époque carolingienne : quels changements d'habitudes alimentaires se sont produits à l'occasion de cette substitution de céréales ? L'installation du seigle comme céréale de base dans d'immenses régions de l'Europe non méditerranéenne est d'ailleurs un fait majeur de l'histoire du Moyen Age. Nous n'en connaissons ni le déroulement précis, ni les causes.
L'histoire du pain comme nourriture, enfin, est celle d'une différenciation sociale croissante entre riches et pauvres, et entre villes et campagnes, qui s'affirme surtout à partir du XVIe siècle. De plus en plus, les citadins vont se mettre à exiger du pain, et du pain aussi blanc que possible, à mesure qu'ils sont plus riches. Et de plus en plus les paysans qui produisent le blé pour le pain des villes vont se rabattre pour leur consommation propre sur l'orge, le maïs, le sarrasin, le riz, les châtaignes, etc. La pomme de terre viendra s'y ajouter dans le courant du XVIIIe, et on sait que lorsque de nouvelles maladies viendront détruire les récoltes en Irlande au XIXe siècle, les famines qui en résulteront pour les paysans n'empêcheront jamais les exportations de blé vers l'Angleterre de se poursuivre comme si de rien n'était. Cet exemple illustre jusqu'à la tragédie à quel point la séparation alimentaire entre villes et campagnes a pu devenir radicale au siècle dernier.
DE QUOI FAIT-ON LE PAIN?
L'arbre à pain (Artocarpus altilis (Parkins.) Fosb.) a certainement été une des découvertes qui ont le plus contribué à faire croire aux Européens qu'ils avaient retrouvé le paradis terrestre dans les mers du Sud. Des îles où il suffisait de tendre la main pour cueillir son pain ne pouvaient pas avoir été soumises à la malédiction "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". Bien entendu, la réalité n'est pas tout à fait aussi souriante. Le fruit de l'arbre à pain demande un minimum de préparation, et si l'Artocarpus lui-même n'est pas devenu une plante nourricière majeure, il y a certainement des raisons. Mais si l'arbre à pain nous intéresse ici, c'est à cause de son nom. Car ce nom atteste, mieux que de longs discours, de la facilité et de la spontanéité avec lesquelles nos explorateurs identifiaient au pain ce que nous avons appelé la nourriture de chaque peuple. Attitude opposée à celle de l'Eglise, qui s'est toujours tenue à une définition rigoureusement technique du pain utilisable dans l'Eucharistie. Pour nos explorateurs au contraire, il était tout naturel de considérer que la cassave de manioc était le pain des Caraïbes, comme les tortillas de maïs étaient le pain des Mexicains, comme certaine purée d'igname ou de banane était le pain des habitants de la côte africaine.
De quoi fait-on le pain ? On voit qu'il y a deux façons d'entendre la question. La façon de l'Eglise, et il n'y a alors qu'une seule réponse : le pain est fait de farine de froment et d'eau, exclusivement. La façon des explorateurs, et alors il faut prendre en compte toutes les plantes dont les différents peuples du monde font ou ont fait leur pain. Pour nous, la réponse de l'Eglise est évidemment trop étroite, puisqu'elle exclut une grande partie des pains d'usage courant en Europe même. Nous n'avons pas d'autre choix que de suivre les explorateurs, même si cela nous impose d'élargir notre propos aux dimensions d'un petit traité de botanique. On compte en effet au moins une centaine de plantes cultivées qui servent ou ont servi au pain d'au moins un peuple. Et si nous tenons compte des plantes de cueillette et des plantes de famine, il faut au moins doubler ou tripler ce chiffre.
Que le lecteur se rassure. Je n'ai aucune intention d'entrer dans une énumération qui, d'ailleurs, n'aurait aucune chance d'être exhaustive. Mais il faut tout de même donner quelques exemples. Plus personne chez nous depuis longtemps ne considère les rhizomes de fougère comme comestibles. Qu'on ait parfois été réduit à en incorporer au pain lors des famines du XVIIe ou du XVIIIe siècle est seulement cité comme l'indice d'une misère particulièrement épouvantable. Or les rhizomes de fougère étaient véritablement le pain des Maoris de Nouvelle-Zélande au moment où y débarquèrent les premiers navigateurs européens à la fin du XVIIIe siècle. Et nous n'avons aucune raison de penser que le cas de la Nouvelle-Zélande était unique. Si l'on n'en connaît pas d'autre pour l'instant, c'est très probablement parce que l'on n'a pas songé à en chercher.
Les glands offrent un exemple semblable. Il y a longtemps qu'ils ne servent même plus à nourrir les cochons, sauf peut-être dans un dernier canton d'Estrémadure ou de Sardaigne. Or les glands faisaient l'ordinaire des Indiens de la Californie centrale avant que les aventuriers de la ruée vers l'or ne viennent les exterminer dans les années 1850. Et nous savons, cette fois, qu'il ne s'agit pas d'un cas unique. Depuis quelques années, les archéologues sont en train de s'apercevoir que de nombreuses populations du Néolithique méditerranéen, et même de l'Age du bronze, vivaient de glands et d'autres graines (noisettes, pignons, etc.) bien plus que de céréales. L'usage du pain de glands a d'ailleurs survécu jusqu'à une époque récente dans une petite région isolée de l'est de la Sardaigne (Ogliastra), et les glands doux (dépourvus de tanin) étaient l'objet d'un commerce actif à Murcie (Espagne) au début du XIXe siècle. Nous en savons encore bien peu sur ce sujet. Mais nous en savons assez pour pouvoir dire que l'importance des glands dans l'histoire et dans la préhistoire de notre alimentation a été très sous-estimée.
Les glands ne sont d'ailleurs que les représentants d'une catégorie qui, sous nos climats, comprend aussi les châtaignes, et sous les tropiques, la banane-plantain, le fruit de l'arbre à pain, etc. De nombreux arbres de la famille des légumineuses (Acacia, Prosopis, Ceratonia, etc.) fournissent également des gousses ou des graines comestibles. La liste n'est pas close. Il y a une vingtaine d'années, les archéologues ont proposé Brosimum alicastrum Swartz, comme aliment de base chez les anciens Mayas d'Amérique centrale; cet arbre porte le nom significatif de "Ramon Breadnut tree".
Plus étranges pour nous que les arbres à pain par leurs fruits, il y a les arbres à pain par leur moelle. Tel est le sagoutier d'Indonésie et de Mélanésie (Metroxylon sagu Rottb.), qui a son équivalent avec un autre palmier, Mauritia flexuosa L., dont une population du Bas-Orénoque, les Warao, fait son pain. En Ethiopie, c'est un bananier, Ensete ventricosum (Welw.) Chees., dont la moelle féculente est l'aliment de base des Oromo, qui habitent le sud-ouest du pays ; les Amhara, qui habitent plus au nord, préfèrent une céréale à graines minuscules, le teff (Eragrostis tef (Zucc.) Trott.).
Les arbres à pain ont cette particularité intéressante que l'époque des grandes découvertes européennes n'a pas changé grand-chose à leur distribution géographique. La plupart sont restés confinés à une région, à un milieu, à une population. Seul le bananier-plantain a connu une assez vaste diffusion, puisque parti d'Indonésie, il a gagné toute l'Afrique forestière. Mais cette diffusion s'est faite pour l'essentiel avant les grands voyages de découverte. Et aucun arbre à pain n'a eu l'extraordinaire destinée de la pomme de terre, du maïs ou du manioc. Dans sa relative stabilité, autrement dit, la géographie des arbres à pain nous aide à imaginer l'état des choses avant que la mondialisation des échanges ne vienne simplifier de façon drastique la carte des pains des peuples. Aujourd'hui en effet on ne compte guère plus d'une demi-douzaine d'espèces dont on puisse dire qu'elles fournissent le pain d'une partie significative de l'humanité : le blé tendre, le blé dur, le riz, le maïs, le manioc et le mil à chandelle (Pennisetum glaucum L.). Toutes les autres espèces sont en recul, ou au mieux se maintiennent dans leurs régions traditionnelles, ce qui équivaut à un recul relatif. La pomme de terre, par exemple, a largement reperdu le terrain qu'elle avait gagné en Europe au XIXe siècle. Les ignames (il en existe une quarantaine d'espèces, dont cinq ou six sont économiquement importantes) restent liées à des complexes alimentaires traditionnels où elles se maintiennent, mais dont elles ne peuvent pratiquement pas sortir ; la seule région où elles sont la base de l'alimentation est la zone forestière qui s'étend de la Côte d'Ivoire au Nigéria, mais la concurrence du manioc s'y fait de plus en plus sentir. Les autres cultures, tubercules comme céréales dites secondaires, sont partout en régression plus ou moins rapide dans l'alimentation humaine. Certaines se maintiennent comme spécialités culinaires (le pain de seigle, qui accompagne les huîtres en France), comme "ethnic foods" (le porridge d'avoine en Ecosse) ou encore comme produits biologiques. A ce titre, des cultures quasiment disparues comme le sarrasin, le millet, l'épeautre, etc., peuvent même regagner un peu de terrain. Mais les productions restent minimes.
Dans notre liste, en réalité, seuls les blés (tendre et dur), le riz et le manioc sont véritablement en expansion. Le maïs progresse dans les pays tropicaux, mais plus encore que la pomme de terre, il a perdu la place qu'il avait prise autrefois dans l'alimentation des Européens et des Américains du Nord. Quant au mil, son devenir est incertain. De toutes les céréales qu'on classe habituellement dans la catégorie un peu vague des "millets", le mil à chandelle est certainement la plus importante (en Afrique et en Inde) et la plus appréciée. Mais il est aussi en recul devant le blé et le riz, et si on peut penser qu'il se maintiendra, c'est parce que les immenses étendues semi-arides où on le cultive ne peuvent évidemment pas produire de blé ni de riz, ni même de maïs ou de manioc en quantité appréciable. Si donc le recul du mil devait se prolonger, cela signifierait pratiquement la disparition de toute agriculture dans une grande partie de l'Afrique et de l'Inde ; il est peu vraisemblable que le processus aille aussi loin.
Le manioc joue aujourd'hui, dans les régions tropicales humides, le rôle qui a été celui de la pomme de terre dans les pays tempérés au XIXe siècle. On le cultive beaucoup dans les immenses banlieues des villes du Tiers Monde, où s'est développé un important artisanat pour sa transformation. Quant au blé et au riz, ils ont, chacun dans sa zone climatique, supplanté les autres céréales : le blé a supplanté l'orge, le seigle et l'avoine, le riz a supplanté les millets. Et finalement, là ou blé et riz sont en présence, c'est-à-dire en Inde et en Chine, c'est le blé qui l'emporte peu à peu. Ce qui ne signifie évidemment pas que le riz recule, mais seulement qu'il prend une place inférieure à celle du blé dans la hiérarchie des préférences et des valeurs.
Une manière de comprendre l'histoire plutôt chaotique du pain des peuples, en somme, c'est de la voir comme une géographie se transformant peu à peu en hiérarchie. Au départ, chaque peuple aurait développé l'usage de ses propres ressources. Puis avec le temps et l'extension des échanges, les cultures les plus productives, les plus sûres et les plus appréciées auraient peu à peu pris le pas sur les autres, dans une compétition de plus en plus large, s'étendant finalement à toute la planète. Certaines ressources ont ainsi été très tôt rejetées au rang des plantes de famine, puis tout à fait abandonnées. D'autres ont été conservées, mais uniquement pour l'alimentation des animaux, où elles ont pu d'ailleurs acquérir une importance considérable. D'autres encore ont trouvé une place assurée dans l'alimentation humaine, mais dans des usages limités ou à un rang subalterne. Et finalement, le blé et le riz à sa suite apparaissent nettement détachés en tête de la course ; une course qu'ils semblent bien avoir toujours faite en tête depuis des milliers d'années qu'elle dure. Il y a là une permanence un peu mystérieuse, mais qui n'en est que plus impressionnante.
COMMENT FAIT-ON LE PAIN?
Pour comprendre à quoi sert le pain, il fallait le réintégrer dans l'ensemble des nourritures dont il n'est qu'un cas particulier. Pour comprendre comment on le fabrique, il faut en quelque sorte aller en sens inverse. Sans adopter une position aussi rigoriste que celle de l'Eglise, il faut maintenant insister sur les différences plutôt que sur les ressemblances. Car fabriquer quelque chose, c'est réaliser un projet précis, où rien ne peut être laissé au hasard. Il existe tant de façons différentes de faire du pain, et plus encore de faire quelque chose qui ressemble à du pain sans en être, qu'il n'est pas sûr qu'il soit jamais possible d'arriver à une définition universellement valable du pain. Mais quiconque fabrique du pain sait fort bien ce qu'il peut et doit faire, et ce qu'il ne peut ni ne doit faire, pour arriver au résultat qu'il vise. Là est la réalité de la technique.
Cela dit, nous nous trouvons ici devant un embarras bien plus grand que lorsque nous nous intéressions au pain comme nourriture. Car inventorier les nourritures de l'humanité, c'était faire référence à un traité de botanique qui existe, au moins virtuellement. Mais s'agissant de déterminer avec quelque rigueur ce qui, techniquement, est du pain, ce qui en est presque, ce qui en est peut-être et ce qui n'en est certainement pas, nous devons bien reconnaître que le traité de technologie dont nous aurions besoin n'existe pas. Nous ne manquons certes pas d'ouvrages sur la meunerie et la boulangerie, ni même de descriptions ethnographiques de la fabrication du pain dans tel ou tel village de Suède, d'Autriche ou de Grèce. Mais nous ne savons rien de bien précis sur la préparation des rhizomes de fougère ou sur celle des glands, et il existe de par le monde quantité de préparations alimentaires, couramment pratiquées par des millions et des millions de personnes, dont nous savons à peine qu'elles existent. Etant donné ces immenses lacunes, il est pour l'instant impossible d'avoir une vision un peu cohérente de la question.
Il y a peut-être un moyen de nous tirer d'affaire. Nous connaissons tous; depuis l'école primaire, les principales étapes de la fabrication du pain : la mouture, le pétrissage, la fermentation, la cuisson. Supposons maintenant qu'à chaque étape, nous fassions tout autre chose que ce qui est prévu, à quoi allons-nous aboutir ? Cette méthode ne nous permettra certes pas d'explorer l'univers des techniques. Elle nous permettra peut-être de mieux comprendre comment distinguer ce qui est pain de ce qui n'en est pas.
Au lieu, par exemple, de tenir les grains au sec pour les conserver et de les moudre dans cet état, ce qui donnerait de la farine, on peut les traiter par voie humide, c'est-à-dire les faire tremper un certain temps dans l'eau chaude avant de les moudre. On obtient alors une sorte de pâte, de "purée" faudrait-il dire plutôt, si on veut réserver l'emploi du mot "pâte" à ce qui est le produit d'un pétrissage. Il ne s'agit pas d'une pratique rare ou anecdotique. C'est ainsi, en effet, qu'on prépare le maïs dans une grande partie de l'Amérique latine, et il existe aussi un mode semblable de préparation du riz en Inde du Sud. Je ne peux pas entrer dans le détail de techniques qui n'ont pas toujours été décrites de façon satisfaisante. Je donnerai seulement une idée du procédé que les nutritionnistes ont appelé "nixtamalisation" au Mexique. Les grains de maïs sont jetés, le soir, dans un grand récipient d'eau bouillante additionnée de cendres ou de chaux. On les y laisse toute la nuit. Au matin, les grains gonflés d'eau sont débarrassés de leurs enveloppes à la main, puis on les passe à la pierre à moudre ("metate") à plusieurs reprises jusqu'à obtention d'une pâte de la finesse désirée. Cette pâte est ensuite façonnée en galettes qui sont cuites sur une plaque chaude, les "tortillas". On s'est aperçu que ce mode de préparation corrigeait en grande partie les carences en acides aminés qui, dans les autres modes, sont responsables de la pellagre.
Une autre manière de faire consiste à traiter les grains par l'eau chaude, mais sans addition de chaux ou de cendres, et à les faire sécher ensuite; cette technique porte le nom d'''étuvage'' (anglais "parboiling"). Une grande partie du riz consommé en Inde est étuvé, notamment en Inde du Sud. Le blé est également étuvé en Turquie et dans une grande partie du Proche-Orient (Syrie, Liban, etc.), En Europe centrale et orientale, l'étuvage était appliqué à l'avoine. L'étuvage facilite la séparation du grain entier de ses enveloppes. Il constitue aussi une sorte de précuisson qui gélatinise partiellement l'amidon et change le comportement du grain à la cuisson : le riz étuvé ne "colle" pas, les marques américaines en ont fait un argument de vente. Enfin, l'étuvage détermine une migration des vitamines, localisées dans les enveloppes, vers l'amande du grain, si bien qu'elles ne sont plus totalement éliminées à l'usinage : le riz étuvé n'entraîne pas un risque de carence (béribéri) aussi grand que le riz blanchi non étuvé. Il va sans dire que les grains étuvés doivent être préparés sous forme de gruau. Le blé étuvé n'est plus panifiable, on en fait un gruau appelé "burgul" au Liban, "bulgur" en Turquie, terme qui tend à s'internationaliser. L'avoine étuvée portait les noms de "haberkern" en Suisse, de "talggn", "munggn", etc., en Autriche. Ici encore se vérifie la tendance générale que j'ai signalée plus haut : la consommation du blé et du riz étuvés sont plutôt en voie d'augmentation, celle de l'avoine étuvée a si complètement disparu qu'il n'est même pas certain que son souvenir existe encore.
Voilà pour les techniques de préparation basées sur un traitement du grain par l'eau chaude avant mouture. En ce qui concerne la mouture ordinaire, c'est-à-dire de grains secs, on sait qu'il existe deux grandes familles de procédés. Dans la première, on cherche à écraser le grain le plus complètement possible, pour le réduire en farine, et en farine fine de préférence. Dans l'autre au contraire, le but est de ne broyer le grain que modérément, pour le réduire en gruau, en semoule ou en farine grossière, voire seulement pour le débarrasser de ses enveloppes en laissant l'amande intacte. Ce dernier cas est, par excellence, celui de l'usinage du riz. Mais l'orge, le sarrasin, le millet, le panis, et on vient de le voir l'avoine étuvée, ont fait l'objet de préparations semblables dans de nombreuses régions d'Europe. A l'exception de l'orge perlée, toutes ont pratiquement disparu devant la concurrence du riz.
La farine est à la base de toutes les préparations comportant la confection d'une pâte par pétrissage (à l'exception des pâtes alimentaires, faites de semoule de blé dur). Pâte qui peut être épaisse, comme dans la fabrication des galettes, du pain et de la plupart des pâtisseries, ou liquide comme dans la fabrication des crêpes, des flans, etc. Il n'est peut-être pas sans intérêt de signaler que là où la langue française n'a qu'un seul mot pour désigner ces pâtes bien différentes, la langue anglaise en a trois : "dough", qui désigne la pâte à pain; "paste", qui s'applique plus particulièrement à une pâte additionnée de beurre ou d'huile telle qu'on en utilise en pâtisserie; et "bauer", qui désigne la pâte liquide à crêpes.
Quoi qu'il en soit, toutes ces filières farine-pâte forment un ensemble bien caractérisé, auquel s'oppose un autre ensemble gruau-bouillie également bien distinct. Dans ce deuxième ensemble de filières, il n'y a pas de pétrissage. Les grains entiers ou réduits en gruau sont cuits directement à l'eau, parfois au lait pour les aliments de fête. On obtient soit des grains cuits détachés (riz), soit une bouillie proprement dite, c'est-à-dire un produit semi-liquide qui peut être consommé tel quel, mais qu'on peut aussi laisser durcir par refroidissement pour l'incorporer à d'autres préparations. La "polenta" en Italie, le "porridge" en Grande-Bretagne, la "kacha" en Russie sont les noms de bouillies les plus connus ; en France, il existe une multitude de noms dialectaux, dont seul celui des "gaudes" de Bourgogne a acquis quelque notoriété. On associe habituellement la polenta au maïs, le porridge à l'avoine, la kacha au sarrasin et les gaudes au millet. Mais ce sont des associations qui n'ont rien d'obligatoire. Pline l'Ancien décrit la polenta de farine d'orge comme un plat grec, et on a fait aussi de la polenta de farine de châtaignes au siècle dernier encore. Et le porridge, la kacha, etc., peuvent être faits avec d'autres céréales que l'avoine et le sarrasin.
J'ai parlé de farine fine à propos des filières comprenant un stade "pâte" et de farine grossière à propos des filières "bouillie". La distinction n'est pas évidente, mais là encore, la langue anglaise nous aide à la faire, puisqu'elle emploie deux mots différents, "flour" et "meal", pour désigner l'une et l'autre. Au reste, la terminologie dans ce domaine est désespérément embrouillée. La distinction entre farine fine, farine grossière, semoule et gruau est une question de granulométrie qui ne semble pas devoir être spécialement compliquée. Il est pourtant à peu près impossible de savoir s'il y a dans ce domaine des critères précis et universellement acceptés. A cela s'ajoute le fait que des termes comme gruau et semoule peuvent désigner, non seulement un produit d'une certaine granulométrie, mais encore l'aliment préparé avec ce produit. Cette polysémie peut même aller plus loin. En français, on appelle couramment "semoule" le produit dont on prépare le couscous, plat originaire d'Afrique du Nord maintenant d'usage courant en France. Or le "vrai" couscous n'est pas fait de semoule, au sens "fragments de grain d'une certaine granulométrie", mais de ce qu'on appelle en français maghrébin de la "graine", c'est-à-dire de farine roulée à la main sur une surface plane jusqu'à obtention de petits grains de farine agglomérée.
Faut-il poursuivre ? Nous avons vu le traitement du grain avant la mouture et la mouture elle-même, ce qui veut dire que nous ne sommes qu'au milieu du chemin. Il y a le pétrissage et la fermentation, dont il faudrait parler longuement. A cet égard, je me bornerai à rappeler une banalité, à savoir que seuls le seigle et les blés (froment, blé dur, etc.) sont panifiables, c'est-à-dire donnent une pâte susceptible de lever sous l'effet de la fermentation, Ce qui toutefois n'a jamais empêché qu'on ne fasse du pain d'orge, d'avoine, de millet, etc., soit en cas de disette, soit pour la consommation des pauvres. On s'est même efforcé, vers la fin du XVIIIe siècle, de faire du pain de farine de pommes de terre : c'est une tentative à laquelle le nom de Parmentier reste attaché en France.
Terminons par quelques mots sur la cuisson. Notre pain européen est classiquement cuit au four. Il y a plusieurs types de fours, et au four clos à coupole de l'Occident s'oppose le four en cloche ouvert au sommet de l'Orient, appelé "tanur" de la Tunisie à l'Iran ("tandur" en Inde). Mais la cuisson peut aussi se faire sur une plaque chaude, une tourtière : le pain cuit de cette façon est souvent qualifié de "galette", sans que les deux termes soient exclusifs l'un de l'autre. Enfin, la pâte peut être cuite à l'eau ou à la vapeur. A l'eau, ce sont les "knödel" d'Europe centrale. A la vapeur, ce sont les petits "pains" appelés "mantou" en Chine du Nord. Nous n'avons pas de mot pour désigner ces pains à la vapeur dans nos langues européennes : faut-il ou non parler de "pain" à leur sujet ?
Tant que nos institutions de normalisation industrielle ou des congrès de spécialistes ne se seront pas penchés sur la question, il ne sera évidemment pas possible de donner une réponse. Je n'ai fait que baliser une petite partie de l'immense labyrinthe des procédés et des produits dans lequel le pain se définit par la place qu'il y occupe. Tant que ce labyrinthe restera inexploré pour l'essentiel, chacun continuera à voir midi à sa porte, c'est-à-dire à appeler "pain" ce qui correspond aux habitudes singulières de son pays et de son époque. Il ne faut certes pas ignorer cette réalité dialectologique. Mais pour communiquer plus largement, on ne peut s'en tenir aux dialectes. Il n'y a pas encore de notion de pain en général qui ait un contenu précis. Il faudra bien en créer une un jour.
AVEC QUOI FAIT-ON LE PAIN?
... Avec bien peu de chose parfois. Chez les Aborigènes d'Australie que j'ai évoqués en commençant, l'outillage est réduit à un minimum absolu : un récipient d'écorce, dans lequel la femme récolte et transporte les grains, et qui lui servira encore pour puiser l'eau et pétrir la pâte ; et deux pierres à moudre. Soit trois objets au total, si on ne compte pas les instruments pour faire le feu ou pour le transporter d'un campement à l'autre.
Faut-il, pour créer un effet de contraste facile, énumérer les dizaines d'appareils et de machines, eux-mêmes comprenant une multitude de pièces et d'organes, qui sont nécessaires pour faire le pain aujourd'hui? Cela n'aurait pas beaucoup de sens, et encore moins d'intérêt. Nous savons tous que le progrès technique est passé par là. Mais ce n'est pas ainsi que nous pouvons espérer le comprendre.
Il vaut mieux, peut-être, essayer de repérer les permanences et les ruptures. En voici, qui sont évidentes, mais qui peuvent donner à penser. Les pierres à moudre australiennes travaillent par friction : tous nos moulins ont continué à travailler ainsi jusqu'à ce que les pierres soient supplantées par les cylindres à la fin du siècle dernier. Or les plus anciennes pierres à moudre retrouvées par les archéologues, en Afrique du Sud, datent de presque 50 000 ans (exactement 48 900, site de Florisbad). En Europe, on en a trouvé qui sont à peine moins anciennes (40 à 45 000 ans) dans le Moustérien final d'Ukraine, de France et d'Espagne ; et en particulier la grotte d'Arcy-sur-Cure a livré trois pierres à moudre, polies par un long usage, vieilles d'une trentaine de milliers d'années. En Australie même, les pierres à moudre font leur apparition il ya 18 à 22 000 ans.
A quoi exactement ont servi toutes ces pierres ? A broyer quelque chose par friction, certes, mais nous ne savons pas quoi. L'archéologie expérimentale, qui a fait tant de découvertes quasi-miraculeuses dans le domaine des outils coupants, s'est jusqu'ici totalement désintéressée du problème. Certaines, mais pas toutes, ont servi à broyer de l'ocre ou d'autres colorants. Mais la plupart devaient être polyvalentes. Grains, fruits durs, végétaux fibreux ou coriaces, viande même sans doute, les pierres à moudre ont probablement été le premier instrument de cuisine grâce auquel les hommes ont pu avoir régulièrement accès à ces ressources auxquelles leur denture n'était pas naturellement adaptée. De ce point de vue, les pierres à moudre auraient la même importance que le feu lui-même. Quoi qu'il en soit, ce sont elles, dotées certes de perfectionnements considérables, qui ont perduré jusqu'à la fin du siècle dernier. Et l'apparition des premières pierres à moudre, il y a quarante à cinquante mille ans, c'est aussi le début du paléolithique supérieur. C'est le moment où l'Homo sapiens actuel remplace les Homo sapiens archaïques (l'homme de Néanderthal notamment) qui l'avaient précédé.
Même permanence, peut-être, en ce qui concerne la cuisson. Car qu'est-ce qu'un four, en fin de compte, sinon un foyer aménagé ? Le degré zéro de cet aménagement, c'est bien sûr notre exemple australien, dans lequel le pain à cuire est simplement introduit sous les cendres. De là au four à coupole, qui est peut-être une innovation hellénistique ou romaine, et au four électrique d'aujourd'hui, il y a bien sûr des perfectionnements considérables, mais le mode de cuisson ne change pas. Voilà deux permanences de très longue durée, la mouture entre deux pierres et la cuisson au four, qui éclairent peut-être un des paradoxes apparents de l'histoire du pain. Il se pourrait que le pain soit un des aliments les plus primitifs de l'humanité, et aussi un de ceux qui ont reçu le plus de perfectionnements sans changer de nature.
A l'inverse, l'histoire des bouillies est nécessairement beaucoup plus courte. Car elle implique une cuisson dans l'eau, c'est-à-dire dans un récipient étanche et résistant à la chaleur. Il est certes possible de faire bouillir de l'eau dans un récipient en cuir ou en bois, en se servant de pierres chauffées. Mais cela implique des manipulations continuelles pour retirer les pierres refroidies et les faire chauffer à nouveau. Le moyen le plus courant est d'utiliser un récipient qui va au feu, une marmite. C'est pourquoi il est permis de penser que l'histoire des bouillies n'a pas dû commencer bien avant celle de la poterie, il y a six à douze mille ans suivant les régions. De plus, on utilise de préférence des gruaux plutôt que de la farine pour confectionner les bouillies. Or pour produire des gruaux, le mortier et le pilon sont un appareil mieux adapté que les pierres à moudre. Malheureusement pour nous, les mortiers sont le plus souvent en bois et les pilons le sont toujours, ce qui, sauf exception (villages lacustres et autres sites saturés d'eau), exclut de les retrouver dans les sites archéologiques. Il y a donc peu d'espoir de pouvoir établir si, comme il est logique de le supposer, l'apparition du système mortier-pilon est concomitante de celle de la poterie. Il semble toutefois que le mortier-pilon soit absent d'un assez vaste ensemble de régions où seule la pierre à moudre est connue : l'Australie, le sud de l'Argentine et du Chili, les Andes, une grande partie du plateau central méso-américain et de l'ouest des Etats-Unis; et dans des régions comme la Californie ou l'Afrique de l'Ouest, on a des indices permettant de supposer que le mortier n'a été introduit qu'à une époque récente, alors que la pierre à moudre y était présente de toute antiquité. Malgré l'insuffisance de toutes ces informations, l'hypothèse que le mortier est plus récent que la pierre à moudre n'est pas tout à fait déraisonnable.
On voit par ces exemples, malgré leur caractère souvent spéculatif, combien l'étude des outillages de préparation du pain est importante pour la préhistoire industrielle de l'humanité. Elle ne l'est pas moins pour l'histoire plus récente. Le moulin à eau fait son apparition vers le milieu du dernier siècle avant notre ère : il restera le seul moteur non animal de toute l'industrie européenne jusqu'à la diffusion des machines à vapeur dans le courant du XIXe siècle. En outre, on sait que la roue de moulin, perfectionnée et transformée, donnera naissance aux turbines hydro-électriques, et que les mécanismes de transport, de régulation et de contrôle du flux des grains à l'intérieur au moulin feront de la meunerie, dès la fin du XVIIIe siècle, la première des industries de processus et la première à propos de laquelle on puisse parler d'automatisation.
Au total, l'histoire des moulins en Occident est assez bien connue, ou plutôt assez bien balisée, en ce sens que nos connaissances, nos ignorances et les problèmes à résoudre sont assez bien localisés. Mais ce qu'on oublie souvent, c'est que cette histoire appartient tout entière ou presque à celle de la farine et du pain. L'histoire des outillages de fabrication des gruaux et bouillies est beaucoup moins bien connue. Nous venons de voir combien nos incertitudes étaient grandes pour la préhistoire des mortiers et pilons. Cette incertitude se prolonge jusqu'à nos jours. Et elle a de graves conséquences, parce qu'elle nous prive probablement d'une possibilité intéressante d'expliquer les différences spectaculaires de développement entre les diverses parties du monde.
En Amérique centrale, par exemple, les pierres à moudre, "mano/metate", n'étaient pas véritablement des pierres à "moudre" puisqu'on s'en servait, nous l'avons su, pour broyer les grains de maïs gorgés d'eau en une sorte de purée. N'y a-t-il aucun rapport entre cette pratique et le fait qu'en Amérique, aucun mécanisme rotatif n'a jamais été adopté avant l'arrivée des Européens ?
Mais l'exemple le plus classique peut-être est celui de la Chine. On s'est beaucoup interrogé sur les différences de développement entre la Chine et l'Europe depuis le Moyen Age. On a cherché des explications dans le fonctionnement de l'économie, de la société, ou dans l'idéologie, ce qui est normal. Ce qui l'est moins, c'est d'avoir oublié de prendre en compte les différences de traditions alimentaires. En Occident, celles-ci ont évolué vers une prépondérance toujours plus grande du pain, et donc de l'appareil servant à fabriquer la farine, le moulin. Rien de tel en Chine. Le moulin à eau n'y était certes pas tout à fait inconnu, et de toute façon, l'éventail des pratiques culinaires en Chine a sans doute toujours été plus large qu'en Europe. Mais statistiquement, la "nourriture" des Chinois n'a jamais été le pain, mais des grains cuits à l'eau ou à la vapeur (riz) et des bouillies (millets). Ce qui implique la prépondérance d'un outillage tout différent du nôtre, et donc une tradition industrielle différente. La Chine a bien connu une première révolution machiniste à peu près en même temps que l'Occident méditerranéen, c'est-à-dire au début de notre ère – de 200 avant à 200 après J.-C. – mais les machines chinoises ne furent pas les mêmes qu'en Occident. Quoi d'étonnant si les deux machinismes eurent des destinées différentes ? C'est pourtant la direction de recherche qui a été la moins bien explorée jusqu'ici.
Il existe peut-être, d'ailleurs, une ébauche d'hypothèse pour rendre compte de cette divergence. La farine, surtout dans les conditions climatiques de l'Europe et de la Méditerranée, se conserve assez bien, plusieurs semaines à plusieurs mois : on peut donc porter au moulin, pour la faire moudre en une seule fois, la provision de grains de deux ou trois mois. C'est précisément ce qui n'est pas possible avec la plupart des céréales à bouillie. Car une fois décortiqués ou réduits en gruaux, les grains se conservent peu, quelques heures à quelques jours seulement. Il faut donc préparer chaque jour la ration quotidienne de la famille, et la fabrication des gruaux tend à rester une tâche ménagère et manuelle. Les moulins à main ont pratiquement disparu de l'Europe occidentale et centrale avant la fin du Moyen Age, sauf de quelques régions particulièrement isolées ou marginales. Les mortiers et pilons à bras (ou à pied) pour la préparation des céréales à bouillie se sont par contre maintenus dans de nombreuses régions d'Europe, pourtant normalement équipées de moulins, jusqu'au siècle dernier. Pour faire un peu d'histoire-fiction, imaginons que pour des raisons quelconques, les céréales à bouillie l'aient emporté chez nous sur les céréales à pain depuis l'Antiquité : notre industrie eût alors connu le même destin qu'en Chine ou en Inde... Bien entendu, cette fiction n'est qu'une fiction ; mais c'est un moyen de faire entendre notre argument.
QUI FAIT LE PAIN?
La nourriture, on a déjà eu l'occasion de le voir, est un domaine où les phénomènes sont souvent de très longue durée. L'un d'entre eux est particulièrement massif ici : c'est le caractère féminin de la fabrication du pain. Il est vrai que nous n'avons pas d'informations directes sur la répartition des tâches entre les sexes pendant la préhistoire. Mais les données ethnographiques et historiques sont tellement concordantes qu'il est difficile de ne pas se rendre à l'espèce d'évidence qu'elles manifestent. A quelques exceptions près sur lesquelles je vais revenir, dont naturellement celle de notre société actuelle, ce sont partout et toujours les femmes qui ont en charge la préparation de la nourriture du groupe familial. Les "Desert People" d'Australie représentent, à cet égard, un modèle pratiquement universel. Agenouillée derrière la pierre à moudre comme dans l'Egypte ancienne, ou assise à côté du moulin à bras comme dans des milliers de villages de l'Inde encore aujourd'hui, c'est la femme qui écrase le grain, c'est elle encore qui pétrit la pâte et qui la fait cuire. Lorsque trois hôtes se présentent devant la tente d'Abraham au chêne de Mambré, lui-même court prendre un veau qu'il donne à un serviteur pour qu'il le tue et qu'il l'apprête. Mais c'est à Sara, sa femme, qu'il donne l'ordre "Prends vite trois mesures de farine, pétris et fais des galettes" (Genèse, 18, 6-8). Et le vocabulaire anglais actuel conserve encore la trace de ce très vieil et très universel usage : la dame, "lady", c'est "celle qui pétrit le pain", "hlaefdige" en vieil-anglais; et le seigneur, "lord", c'est "celui qui a la garde du pain", "hlafweard". (Le vocable, "hlaef-" ou "hlaf-" survit dans l'anglais actuel "loaf", miche ; cf. également l'allemand "laib", même sens, et le russe "khleb", pain).
Notre société actuelle, dans laquelle le meunier et le boulanger sont des hommes, et des hommes de métier, a complètement tourné le dos à l'ancien usage. Comment cela a-t-il été possible ?
On peut imaginer des transitions. Il n'y a pas si longtemps, après tout, que les femmes pétrissaient et cuisaient encore le pain dans nos campagnes. En France, cette tradition était encore bien vivante au siècle dernier, et si elle avait déjà disparu presque partout dans les années 30, elle connut un regain de faveur pendant l'occupation allemande dans les années 40, si bien qu'elle n'a pas disparu des mémoires. Mais il est clair que cette transition ne fut qu'une étape dans la diffusion aux campagnes d'un mode de vie urbain déjà solidement constitué. Dans le Paris du XVIIe siècle, la corporation des boulangers avait depuis longtemps le quasi-monopole de la fabrication du pain. Quant au monopole de la meunerie, il est, on le sait assez, encore plus ancien. C'est l'origine de ce modèle urbain, dans lequel la fabrication du pain est entièrement masculine, qui nous intéresse ici. Et là, on imagine mal une transition progressive. Car des femmes aux hommes, il n'y a pas de moyen terme. Il a bien fallu qu'à un moment donné, la société bascule pour ainsi dire d'un modèle dans un autre. Où et quand cela s'est-il produit, et avons-nous une chance de savoir comment cela s'est passé ?
Peut-être. Je viens de dire que des femmes aux hommes, il n'y a pas de moyen terme. Mais la société peut en inventer. Elle a notamment inventé l'esclavage, et si l'esclave a un sexe biologique, on peut dans une certaine mesure lui ôter son sexe social, surtout si c'est un homme. L'esclave-femme reste femme, et si l'esclavage ajoute à la dépendance de la femme, il ne la crée pas. L'esclave-homme, lui, peut être privé de son sexe même biologique, on peut en faire un eunuque. On peut aussi le priver des prérogatives attachées à la condition d'homme libre, il faut même l'en priver pour qu'il soit véritablement esclave. On peut alors lui imposer des tâches féminines, ce qui serait absolument incompatible avec un statut d'homme libre.
Si l'esclavage a pris une importance tellement extraordinaire dans la société gréco-romaine antique, n'est-ce pas justement parce qu'on y a "inventé" de faire faire aux esclaves, de façon très systématique, des travaux de femmes ? Ce qui paraît certain en tout cas, c'est que contrairement aux sociétés proche-orientales contemporaines, où le rôle des femmes dans la préparation de la nourriture ne change guère, on assiste dans la civilisation gréco-romaine à une entrée massive des hommes dans les activités de meunerie et de boulangerie. Et en même temps, ce qui n'est pas un hasard, l'innovation technique explose. La pierre à moudre, qui n'avait pas fondamentalement changé en quarante mille ans d'existence, devient en moins de quatre siècles moulin à levier, moulin rotatif à bras ou à manège, et enfin moulin à eau. L'esclavage disparaîtra beaucoup plus tard et fort lentement souvent. Mais les métiers, notamment ceux de boulanger et de meunier, resteront. Et le rôle historique de l'esclavage aura peut-être été de laisser les métiers après lui comme l'héritage que personne n'avait prévu.
Cette hypothèse sur l'esclavage est inédite. Toutes les preuves nécessaires pour l'établir ne sont pas encore réunies, et il est clair qu'elle soulève de nombreuses objections. Celle, par exemple, que l'esclavage aurait été un obstacle à l'innovation technique. Cette objection ne tient pas parce qu'elle ignore le fait que l'esclave, comme la bête de somme, représente un capital coûteux que son maître n'a pas intérêt à mal utiliser. Et d'ailleurs, l'idée d'une stagnation technique sous l'Antiquité est de plus en plus reconnue aujourd'hui comme complètement fausse. Mais je ne puis pas entrer dans ce débat ici. Ce que je voudrais dire pour terminer, c'est que les Anciens eux-mêmes ont eu une certaine conscience de ce remplacement des femmes par les esclaves auquel ils assistaient.
"En ce temps-là", écrit par exemple Athénée dans "Le banquet des sophistes" (263b), "personne n'avait d'esclave..., mais les femmes devaient s'imposer tout le travail de la maison. C'est elles qui, dès l'aube, devaient moudre le grain, elles faisaient résonner le village du bruit de leurs meules." Et Pline l'Ancien : "Il n'y eut pas de boulangers à Rome jusqu'à la guerre contre Persée, plus de 580 ans après la fondation de la ville. Autrefois, les Romains faisaient leur pain eux-mêmes, et c'était surtout la tâche des femmes, comme aujourd'hui encore chez la plupart des peuples." (Hist. nat, 18, 28 : Pistores Romae non fuere ad persicum usque bellum annis ab urbe condita super DLXXX. Ipsi panem faciebani Quirites, mulierumque id opus maxime erat, sicut etiam nunc in plurimis gentium.) J'ai déjà eu l'occasion de citer une partie de ce passage, dans un autre but. C'est ici que cette citation prend tout son sens. L'histoire du pain, ai-je dit en commençant, est pleine de paradoxes. J'espère avoir réussi à suggérer au lecteur que derrière ces paradoxes, il y a des pistes qui nous permettront peut-être d'accéder à une compréhension plus profonde du mouvement de l'histoire.
Bibliographie
La littérature sur le pain est innombrable. Une bibliographie publiée par le Deutsches Brotmuseum d'Ulm en 1973 contenait déjà plus de trois mille titres (Binder, 1973). Quant au présent travail, les références qu'il aurait fallu citer sont au nombre de cent à deux cents. Il n'était pas question de les mentionner toutes. Je me suis borné dans ce qui suit à en citer une vingtaine, qui m'ont été d'une utilité particulièrement directe ou qui me paraissent de quelque façon exemplaires.
AMOURETTI Marie-Claire, 1986, Le pain et l'huile dans la Grèce antique, Paris, Les Belles Lettres.
ANKEI Takako, 1990, "Cookbook of the Songola : An anthropological Study on the Technology of Food Preparation among a Bantu-speaking People of the Zaïre Forest", Kyoto University, The Center for African Area Studies African Study Monographs, Supplementary Issue n° 13).
ATZENI Paola, 1981, Il corpo, i gesti, lo stile, Lavori delle donne in Sardegna, Cagliari, CUEC Editrice.
AVITSUR Shmuel, 1975, "The way to Bread, The Example of the Land of Israel", Tools and Tillage, 2, 4 : 228-241.
BINDER Fred, 1973, Die Brotnahrung, Auswahl Bibliographie zu ihrer Geschichte und Bedeutung; Ulm/Donau, Deutsches Brotmuseum.
DEVROEY Jean-Pierre et VAN MOL Jean-Jacques (dir.), 1989, L'épeautre (Triticum spelta), Histoire et ethnologie, Treignes, Belgique, Editions Dire.
GAMERITH Anni, 1988, Speise und Trank im sudoststeirischen Bauernland, Graz, Akademische Druck-und Verlagsanstalt.
GARIBOLDI F., 1974, L'étuvage du riz, Rome, F.A.O.
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LEWTHWAITE J. G., 1982, "Acorns for the ancestors: the Prehistoric Exploitation of woodland in the west Mediterranean". In S. Limbrey & M. Bell (dir.), Archaeological Aspects of Woodland Ecology, Oxford, B.A.R., pp. 218-230.
MAHIAS Marie-Claude, 1985, Délivrance et convivialité. Le système culinaire des Jaina, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme.
MAURIZIO Adam, 1924-1926. Die Nahrungsmittel aus Getreide, Berlin, Paul Parey, 2 vol.
MORITZ Ludwig A., 1958, Grain-mills and Flour in Classical Antiquity, Oxford, Clarendon Press.
MUCHNIK José et VINCK Dominique, 1984, La transformation du manioc, technologies autochtones, Paris, Presses Universitaires de France.
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SHAWCROSS Kathleen, 1967, "Fern Root and 18th Century Maori Food Production in Agricultural Areas", The Journal of the Polynesian Society, 76. 3 : 330-352.
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TESTART Alain, 1982, Les chasseurs-cueilleurs ou l'origine des inégalités, Paris, Société d'Ethnographie.
Ce texte a d’abord été publié dans une traduction italienne, comme préface d’un ouvrage intitulé « Il pane », publié par la maison d’édition Electa Editori Umbri Associati (San Sisto). La version présente a été publiée dans un ouvrage collectif coordonné par José Muchnik : « Alimentation Techniques et Innovations dans les régions tropicales » (préface de Hubert Manichon), aux éditions L’Harmattan, Paris, en 1993, p. 31-51. [ISBN : 2-7384-2177-6 • 1993 • 566 p.]