CIMA XVI, Slobozia, Romania, September 2011, pp. 11-14.
Préface – Slobozia
L’AIMA a tenu son seizième Congrès international en Roumanie, à Slobozia, en septembre 2011. Après avoir tout fait pour la réussite de ce Congrès, le Musée National d’Agriculture de Slobozia a pris en charge la publication des Actes, dont ce volume est le résultat. Je me fais avec plaisir l’interprète des participants au Congrès ainsi que de toutes celles et ceux qui en liront les Actes, en adressant mes remerciements les plus chaleureux à nos collègues du Musée de Slobozia qui ont assumé ces deux lourdes tâches.
Le thème de ce seizième Congrès, « Pain et vin – Parallèles historiques, ethnologiques et technologiques » avait été proposé par Razvan Ciuca, alors directeur du MNA, lors du Congrès précédent de l ‘AIMA qui s’était tenu à Novi Sad (Serbie) en septembre 2008. Dans tous les pays de civilisation méditerranéenne et européenne, ce thème avait évidemment des résonances considérables. Car la présence simultanée du pain et du vin, qui a longtemps été spécifique à une aire géographique allant de l’Atlantique à la mer Caspienne, s’est étendue depuis le XVIe siècle aux pays « neufs » de l’Amérique puis de l’Australie. Et elle est même aujourd’hui en train de gagner des pays de traditions tout à fait différentes, comme le Japon ou la Chine. Les historiens ont beaucoup travaillé sur la diffusion dans le monde des plantes d’origine américaine, comme le maïs, la pomme de terre, etc. Ils ont moins travaillé, me semble-t-il, sur le dynamisme du modèle alimentaire européen associant le pain et le vin. C’est une des raisons pour lesquelles le thème de ce seizième Congrès était bien choisi. Il offrait, il offre toujours, la possibilité de développements du plus haut intérêt.
Deux tiers au moins des communications présentées à Slobozia (quinze sur vingt-trois, sauf erreur de ma part) ont donc porté sur le pain, sur le vin, ou sur les deux ensemble ; sans compter quelques autres qui ont porté sur des thèmes assez proches. C’est dire que les participants ont joué le jeu qui leur était proposé. Mais ce beau thème du pain n’a pas donné lieu qu’à des exposés oraux. Nous étions dans un musée, et les participants n’oublieront pas le démonstration de cuisson (suivie de dégustation) du pain dans de petits fours amovibles en forme de cloches [appelés ……. en roumain] à laquelle ils furent invités. Personnellement, je dois avouer que je n’avais jamais vu ni entendu parler de ce modèle de four avant de l’avoir vu à Slobozia. Cette « découverte », que je ne suis probablement pas le seul à avoir faite ce jour-là, restera un de mes meilleurs souvenirs de ce Congrès. Elle prouve qu’il nous reste bien des choses à apprendre, même dans un domaine aussi classique en apparence que le pain.
Chaque lecteur de ce volume y fera lui-même ses propres découvertes. La dimension symbolique y est très présente, ce qui traduit, en un sens, une réalité d’évidence. Le pain et le vin ont eu une importance absolument fondamentale dans la vie quotidienne des Européens pendant plus de deux millénaires, d’où leur présence à toutes sortes de niveaux dans les rites et les croyances. La place que tiennent ces rites dans le christianisme, qu’il soit oriental ou occidental, est trop connue pour qu’il soit utile d’y insister. Mais il est très probable que certains de ces rites, notamment ceux liés à des festivités saisonnières (moisson, etc.) sont apparus avant ou indépendamment du christianisme, qui les a intégrés ou légitimés plutôt qu’il ne les a créés.
Le problème est ancien, c’est un de ceux qui ont attiré très tôt l’attention des folkloristes. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit superflu d’y revenir. Le fait que la consommation de pain ait beaucoup baissé avec l’exode rural et l’urbanisation pourrait nous donner à penser que la valeur symbolique du pain est elle aussi vouée à disparaître. En réalité, il est fort possible qu’elle revienne, quoique sous des formes nouvelles, inattendues qui peuvent donc être difficiles à déceler. Les boulangeries d’aujourd’hui nous proposent, par exemple, un nombre étonnant de pains de définitions et d’appellations diverses. Il est permis de se demander si cette diversité nouvelle ne répond pas à un symbolisme lui aussi nouveau.
Il ne m’appartient pas de commenter chacune des communications réunies dans ce volume. La tâche serait trop lourde, et me ferait courir le risque de porter des jugements arbitraires. Qu’il me suffise de dire que je les ai lues toutes et que j’y ai toujours trouvé un détail ou une idée dignes d’intérêt. Y compris bien sûr dans les communications « hors thèmes », qui ont aussi leur intérêt propre.
Pour en finir avec le thème lui-même ― le pain et le vin ― je voudrais exprimer une interrogation qui m’est venue après coup, en rédigeant cette préface. Dans les villes européennes depuis plusieurs siècles, et à peu près partout aujourd’hui, le pain est fait par les boulangers, qui sont des hommes. Mais jusqu’au début ou au milieu du siècle dernier, selon les régions, le pain, dans les campagnes, était l’affaire des femmes. Alors que le vin, lui, a toujours été l’affaire des hommes. À quoi tient cette opposition ? À quelles causes ? Et quelles en ont été les conséquences ? Je l’ignore. Mais il serait surprenant que l’opposition pain des femmes/vin des hommes n’ai joué aucun rôle dans la structuration des sociétés traditionnelles européennes. D’autant que nous trouvons en Europe même, mais plus au Nord, des pays où cette opposition n’a jamais existé parce qu’on n’y produisait pas du vin mais de la bière, et que la fabrication de la bière comme celle du pain y est longtemps restée une occupation typiquement féminine.
Chacun pourra, à la lecture de ces Actes pour lesquels je redis ma gratitude envers nos collègues roumains, se poser d’autres questions. Nous avons encore, si j’ose dire, du pain sur la planche…
François Sigaut Le 10 avril 2012
The AIMA held its 16th International Congress in Romania, in Slobozia, in September, 2011. After having deployed all its efforts to assure the success of this Congress, the National Museum of Agriculture of Slobozia undertook publication of the Proceedings, of which this volume is the result. It is with great pleasure that I speak on behalf of the Congress participants and all those who will read these Proceedings, in expressing my sincerest thanks to our colleagues in the Museum in Slobozia who took on this considerable responsibility.
The subject of this 16th International Congress – “Bread and Wine” Historical, tehnological and technological parallels” was proposed by Razvan Ciuca, then Director of the MNA, during the AIMA Congress in Novi Sad (Serbia) in September, 2008. In all European and Mediterranean countries, this subject was obviously of great resonance. The simultaneous presence of bread and wine, long characteristic of a geographical area from the Atlantic to the Caspian Sea, has spread since the 16th century to the “new” countries in the Americas and then to Australia. Today, it is spreading into countries with entirely different traditions, such as Japan and China. Historians have done much work on the spread around the world of plants originating in the Americas, such as maize corn, the potato, etc. However, they have worked less, it seems to me, on the dynamism of the European food model associating bread and wine. This is one of the reasons that the theme of the 16th Congress was so wisely chosen. It provides, and will continue to do so, fertile ground for research of the greatest interest.
At least two thirds of the papers presented in Slobozia (fifteen out of twenty-three, if I am not mistaken) concerned bread, wine or the two together ; this does not count others on closely related subjects. In addition, this handsome subject of bread gave rise to more than oral presentations. We visited a museum where we were treated to a memorable demonstration of bread baking (following by tasting) in the small, bell-shaped mobile ovens called ____ in Romanian. Personally, I must admit I had neither seen nor heard of this type of oven before this experience in Slobozia. This “discovery”, which I am probably not the only person to have made, remains one of the brightest memories of the Congress. It proves that we have much still to learn, even in a field as classic as that of bread might appear.
Readers of this volume will make their own discoveries. The symbolic dimension is highly present, and in one sense, an evident reality. Bread and wine have been of absolutely fundamental importance in the daily life of Europeans for over two millennia, hence their presence at so many levels in rites and beliefs. The place they hold in Christianity, either Oriental or Western, is too well known to need emphasis here. However, it is very probable that some of these rites, notably those linked to seasonal festivities (harvest, etc.) appeared even before or independently of Christianity, which took them in and legitimated them rather than creating them.
This is an old issue and among those which early on attracted the attention of folklore specialists. But this does not mean it would be superfluous to come back to it. The fact that bread consumption has decreased with the rural exodus and urbanization might lead us to believe that the symbolic value of bread is also destined to disappear. In fact, it is quite possible that it will make a comeback, if perhaps in new, unexpected forms that may be difficult to detect. For example, bakers’ shops today propose an astonishing variety in both kind and name. We might well ask whether this new diversity in itself does not correspond to a kind of new symbolism.
François, I changed a line here completely and shortened this, because I thought it might be interpreted, precisely, as too ‘judgmental’ – see if you agree.
There is no need for me to comment on each of the communications to be found in this volume. This would overload the volume and spoil the pleasure of discovery, so I will limit my comments to noting that I have read every one of them and always found details and ideas that were worthy of attention, including those article not directly dealing with the theme.
To sum up by coming back to our subject of bread and wine, I would like to bring up a point that occurred to me in writing this preface. In European cities for several centures and nearly everywhere today, bread is made by bakers who are men. However, until the middle of the last century – depending on the region, the kind of bread – it was a woman’s work in the country, whereas wine-making was always a man’s task. What is this opposition based upon? What may have been the causes? Et what were the consequences? It would be surprising if this opposition – women’s bread/men’s wine – had not played some role in the way traditional European societies were structured. This is all the more true, as we find all over Europe, especially in the North, countries where this opposition never existed because people did not produce wine, but rather beer, and beer-making – like bread-making – long remained a typically feminine occupation.
The readers of these Proceedings, for which I thank our Romanian colleagues once again, will find their own questions to ask. If I might put it this way – we still have plenty of bread to knead on our boards.
François Sigaut
10 April 2012