2012-3 Editorial de Mémoire & Modernité

AEHA - août 2012

Editorial pour Mémoire & Modernité (août 2012)

Il peut sembler à un observateur extérieur qu’il ne se passe pas grand-chose à l’AEHA en ce moment. Ce n’est pas tout à fait faux. Mais nous avons quelques excuses, principalement qu’il n’était pas facile de discerner les voies d’action réellement efficaces dans lesquelles nous engager, avec le peu de moyens que nous avons. Tout bien réfléchi, il me semble possible aujourd’hui d’en identifier quatre, que voici.

1.- La premièreest aujourd’hui bien explorée. Je veux parler des Guides de recherche départementaux, dont Michel Coutelle s’occupe avec énergie et talent depuis plusieurs années, soutenu par la Fondation Xavier Bernard. Je tiens à redire ici que le dernier Guide publié, sur la Charente, est une réussite complète, ce qui signifie que la méthode est maintenant au point. Il reste à la valoriser, auprès du public d’enseignants et de chercheurs auquel elle s’adresse, de façon à pouvoir passer à la bonne centaine de départements que compte notre pays !

Les Guides sont censés, entre autres,faciliter l’accès des chercheurs aux archives. Or sur ce plan, la situation est alarmante. Tous les rapports concordent : les archives récentes sont l’objet de négligences telles que la plupart des changements administratifs (départs à la retraite, déménagements, réorganisations, etc.) se traduisent par des destructions massives de documents « périmés ». Il serait souhaitable que se forme à l’intérieur de l’AEHA un groupe de travail sur ce problème, comme il en existe déjà ailleurs (INRA, ONIC…), et qui, dans un premier temps, aurait pour mandat d’assurer une coordination entre ces diverses initiatives.

Heureusement, le tableau n’est pas entièrement noir. Beaucoup d’archives se perdent, mais bon nombre de retraités écrivent leurs mémoires ― dont une proportion non négligeable de membres de notre Académie. Recueillir, enregistrer ces témoignages fut d’ailleurs un des premiers objectifs des fondateurs de l’AEHA. Simplement, procéder à des enregistrements systématiques s’est avéré au dessus de nos moyens. Nous devons rester fidèles aux objectifs de nos fondateurs, mais avec des méthodes plus simples. Détecter, encourager et aider les auteurs de mémoires est l’une d’elles. Sans oublier que parmi ces auteurs, il y a, il y a toujours eu de « simples » paysans, dont les témoignages n’en sont pas moins intéressants pour autant !

2.- Cette dernière remarque me servira de transition pour passer à mon second point, qui est que les paysans, les ruraux en général, ont été les premiers à s’intéresser activement à l’histoire de l’agriculture. Je veux parler des Fêtes des battages, des travaux à l’ancienne, etc., dont les premières sont apparues peu avant 1975. On pouvait alors penser qu’il s’agissait d’une simple mode, due à la nostalgie, et qui passerait assez vite. Il n’en a rien été. Certaines de ces fêtes ont aujourd’hui quarante ans d’âge et plus, avec toujours le même succès. Le phénomène est d’autant plus important, 1° qu’il est absolument spontané, il ne doit rien aux pouvoirs publics, 2° qu’il est général dans tous les pays dits développés (Europe, Amérique du Nord, Japon…). Il est surprenant que nous n’en ayons aucune étude un peu approfondie, alors que nous pouvons dire (estimation très basse) qu’il n’y en a au moins un millier (soit une douzaine par département), qui touchent un public de plusieurs millions de personnes.

L’AFMA (Association Française des Musées d’Agriculture), présidée par notre confrère Pierre Del Porto, a recensé quelque 1200 musées et collections d’agriculture, dont les liens avec les fêtes à l’ancienne sont évidents. Il y a là tout un secteur d’activités dont l’importance est tout à fait méconnue, d’abord bien sûr en ce qui concerne l’image de l’agriculture auprès du grand public, mais également pour l’histoire proprement dite. « Les musées sont des archives d’objets », disait Marcel Mauss. La première tâche d’un groupe de travail sur ce sujet au sein de l’AEHA serait de rassembler assez d’informations pour attirer l’attention des instances compétences au Ministère de l’Agriculture, de façon à mettre sur pied un projet réaliste d’enquêtes.

J’ajoute que le patrimoine agricole de Paris et de sa région est plus riche qu’on ne le pense. Certains musées et sites (Musée Fragonard à l’ENSV de Maisons-Alfort, Murs à Pêches de Montreuil…), n’attendent que notre visite. Contact a été pris à cet effet avec Christian Maréchal.

3.- L’AEHA a été fondée à la fin de l’année 1994. D’autres associations, comités et groupes d’études ont vu le jour, quelques-uns avant cette date, la plupart depuis. De par sa position au sein de l’Académie, l’AEHA me semble en bonne position pour offrir à ces groupes un lieu où ils puissent se rencontrer, s’informer mutuellement de leur existence, comparer leurs démarches, leurs réussites et leurs échecs, etc. Organiser tous les deux ans, par exemple, une séance commune où ces divers comités et associations seraient invités à se présenter les uns aux autres dans cette perspective, fait partie des initiatives pour lesquelles l’AEHA est particulièrement bien placée.

4.- Mon dernier point porte sur le rôle de l’histoire de l’agriculture dans le public, ou si on veut dans la culture dite générale (qui ne l’est pas en fait). Des questions comme celles des archives, des témoignages, etc., sont primordiales, tout le monde en convient. Mais faut-il se limiter à produire des ouvrages qui ne seront lus, au mieux, que par quelques centaines de personnes ? La masse des connaissances historiques est telle que si on veut qu’il en passe quelque chose dans le public, il faut faire des choix ― des choix devront être faits en fonction du ou des publics qu’on veut toucher.

Il est trop évident que nous n’aurons pas avant longtemps les moyens de toucher le « grand » public. Pourquoi ne pas essayer d’abord celui de l’enseignement agricole ? L’idée serait de réaliser des manuels de petit format (environ 100 p.), portant chacun sur une des innovations majeures qui ont fait l’agriculture actuelle. Les auteurs compétents ne seront pas très difficiles à trouver, plusieurs d’entre eux sont déjà membres de l’AEHA ou de l’Académie. Et il y a au moins un éditeur intéressé, Educagri (Dijon) ; un premier contact, très positif, a été pris avec la responsable, Mme F. Batit-Crocy, en avril dernier.

Tout cela représente pas mal de travail en perspective. Mais je crois que les bonnes volontés ne manqueront pas. Ce qui nous reste à faire est de nous mettre d’accord sur un premier programme. Programme dont nous souhaitons qu’après une discussion aussi ouverte que possible, il soit adopté par le Conseil du 11 octobre prochain et par l’AG qui suivra.

 

Le 30 août 2012 François Sigaut